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Quant au mérite littéraire et oratoire des discours funèbres, Cicéron n’en a pas une haute idée et en parle avec quelque dédain. « Les éloges que nous prononçons au Forum, dit-il, ont la nue concision d’un témoignage dépourvu d’ornement. » Il ajoute ce jugement, qui peut surprendre les modernes : « Une cérémonie funèbre s’accommode peu de la pompe de l’éloquence. » Cicéron ne prévoyait pas que ce genre d’éloquence deviendrait de tous le plus pompeux, et que les discours les plus majestueux et les plus magnifiques qu’il y ait au monde seraient précisément des oraisons funèbres. Mais s’il n’a pas pu soupçonner le développement que ce genre prendrait, il a peut-être bien jugé de ce qu’il fut en général à Rome. Là, comme en célébrant le défunt on faisait en même temps l’éloge de ses ancêtres, qu’on racontait sommairement leur vie, le discours devait le plus souvent ressembler à un sec précis d’histoire. De plus, l’éloge funèbre à Rome resta presque toujours un discours de famille, consacré à la gloire domestique, et par conséquent enfermé en d’assez étroites limites. D’ailleurs le parent, fils ou frère, à qui l’usage imposait cette fonction funéraire pouvait n’avoir pas de talent. Chez nous, l’oraison funèbre est devenue si imposante parce qu’à l’éloge du défunt elle a mêlé de hautes pensées sur les mystères de la vie et de la mort, sur la politique, la morale, la religion, et surtout parce que dans le choix de l’orateur on proportionnait pour ainsi dire le panégyriste au héros, en confiant par exemple la gloire d’un Condé au génie d’un Bossuet.

Cependant il faut n’accepter qu’avec une certaine réserve le témoignage dédaigneux de Cicéron, puisque lui-même, on l’a vu, en plus d’un endroit se montre sensible à la beauté de ces discours et qu’il admire celui du vieux Fabius et va même jusqu’à imiter celui de Lélius. Nous avons peine à croire que ces éloges solennels aient été maigres et secs. Ils devaient au contraire, autant du moins que le permettaient en chaque siècle l’état de l’éloquence et le progrès de la culture littéraire, ne pas manquer d’une certaine emphase. Les fragmens que nous venons de citer sont sur un ton qui n’est pas trop modeste. On peut d’ailleurs s’en rapporter à l’orgueil des familles, qui ont dû se faire les honneurs à elles-mêmes de leur mieux. La preuve qu’on attachait une grande importance à ces morceaux d’éloquence, c’est qu’on tint à les publier avant même qu’on songeât à publier les discours politiques, car les plus anciens monumens écrits de l’éloquence romaine, selon Cicéron, sont les éloges funèbres. On voit d’ailleurs par bien des exemples que, si l’orateur de la famille, désigné par l’usage, paraissait devoir rester au-dessous de sa tâche, on chargeait de composer le discours un orateur en renom. Bien plus, même quand l’orateur de la famille avait du talent, on préférait recourir à un talent