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le même sujet, pouvait toujours redire ce qui avait été bien dit une première fois, sans que personne s’aperçût de la redite et du plagiat. Ainsi dans ces discours il n’y avait de vraiment nouveau que la partie consacrée à l’éloge du défunt. Cet éloge allait rejoindre dans les archives, dans le tablinum de la famille, les éloges précédens, et de cette manière se formait couche par couche, comme par alluvions, le dépôt de la gloire domestique, dépôt qui dans les temps antiques n’aurait pu se former, si l’usage des oraisons funèbres n’avait pas été établi. Grâce à cet usage, chaque noble famille possédait une suite non interrompue de notices biographiques qui était comme une partie importante de l’histoire générale de Rome. Aussi est-ce là que les premiers historiens de Rome ont dû puiser quand ils voulurent raconter l’histoire détaillée, car les documens officiels, les Grandes Annales, les Annales des pontifes, étaient nécessairement sommaires et ne contenaient que les faits les plus généraux. De là vient que l’histoire romaine est née dans une de ces maisons patriciennes. Si le premier historien romain a été un Fabius, Fabius Pictor, c’est qu’appartenant à une famille illustre, laquelle de père en fils avait rempli les grandes charges et avait été mêlée aux plus grands événemens, il trouvait sous sa main, chez lui, des documens précieux que tout autre n’aurait pu facilement se procurer.

Cet orgueil des familles, en fondant l’histoire, contribua, il est vrai, à la falsifier. Comme il y avait entre les nobles maisons une émulation de gloire, chacune était naturellement tentée, pour surpasser toutes les autres, d’embellir ses propres annales, surtout dans ces magnifiques cérémonies funèbres où on avait pour témoin tout le peuple, dont il était si utile de capter l’admiration. Les historiens romains furent souvent induits en erreur par ces éloges intéressés. Il faut se rappeler que sur les premiers siècles de Rome on avait fort peu de documens, que les archives privées étaient parmi les plus importans, que les discours prononcés aux funérailles en faisaient partie, et que les historiens ne pouvaient pas ne point les consulter ; ils coururent donc le risque d’être souvent trompés par la vanité domestique, et se montrèrent surtout fort embarrassés de raconter des événemens dont l’honneur était revendiqué par plusieurs nobles maisons. Tite-Live se plaint, non sans amertume, avec la gravité d’un auteur dont la bonne foi est perplexe : « Je suis convaincu que les souvenirs du passé ont été altérés par les éloges funèbres, alors que chaque famille voulait tirer à soi la gloire des actions et des dignités. De là sans doute cette confusion dans les œuvres de chacun et dans les monumens publics de l’histoire. » Pour comprendre comment les monumens publics eux-mêmes ont pu être altérés par les orgueilleuses fantaisies des