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L'ORAISON FUNEBRE
CHEZ LES ROMAINS

Quand Agrippine rapporta d’Orient les cendres de Germanicus, et que de Brindes à Rome, de ville en ville, et tout le long de la route, elle eut traversé les douloureux hommages d’une foule de toutes parts accourue et sans cesse renaissante, Tibère, ne voulant pas voir se renouveler sous ses yeux, les témoignages d’un enthousiasme qui était une injure pour lui-même, ordonna que les funérailles de son trop adoré neveu se feraient sans pompe. Le peuple murmura : « Où sont les institutions de nos ancêtres ? Quoi ! on refuse au héros les vers composés pour perpétuer le souvenir de la vertu, on lui refuse encore les honneurs usités de l’oraison funèbre ! » C’était en effet un des plus antiques usages de célébrer en des occasions et sous des formes diverses les hommes illustres qui avaient bien servi la patrie, usage si antique que les premiers essais de la littérature romaine s’y rattachent et en sont sortis. Avant qu’il y eût des poètes à Rome, les jeunes garçons étaient amenés dans les festins pour chanter aux sons de la flûte les exploits des héros ; avant qu’il y eût des orateurs politiques, on faisait sur le Forum, dans un discours public, du haut d’une tribune, l’éloge funèbre des nobles défunts. La poésie et l’éloquence ont donc leurs lointaines racines dans ces vieilles et patriotiques institutions. Bien plus, comme chaque famille patricienne conservait pieusement dans ses archives privées les éloges funèbres de ses membres, les premiers écrivains qui tentèrent de raconter les annales de Rome furent obligés de recourir, faute d’autres documens détaillés, à ces documens domestiques, si bien que ces vieux usages donnèrent naissance non-seulement à la poésie et à l’éloquence, mais à l’histoire même. Pour ne parler ici que de l’oraison funèbre, cette coutume qui