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plus grand soin d’intervenir ostensiblement dans les affaires locales. D’ailleurs, depuis que le cabinet de Saint-Pétersbourg a témoigné aux Slaves des sympathies exclusives, on peut constater dans toutes les communautés grecques une certaine désaffection à l’égard des Russes. Le royaume hellénique était jusqu’ici le seul état du Levant créé aux dépens des Turcs, et il dirigeait l’évolution des races chrétiennes de Turquie. Il est menacé aujourd’hui, si l’unité slave se réalise, de voir grandir à côté de lui un empire de 24 millions d’âmes auprès duquel les 3 ou 4 millions de Grecs éparpillés dans toute la Méditerranée constitueront une nationalité sans importance : de là d’interminables polémiques dans les journaux ; chacun des deux partis revendique déjà, avant de les avoir conquis, la possession des pays mixtes peuplés de Slaves et d’Hellènes, tels que la Macédoine.

Quant à l’Angleterre, une nouvelle publiée par quelques journaux, mais que rien n’a confirmée depuis, annonçait récemment qu’elle ne permettrait pas et qu’elle comprimerait au besoin un soulèvement dans l’île. Il est au moins douteux que le gouvernement britannique se donne un pareil souci ; il est certain pourtant qu’il suit d’un œil attentif ce qui se passe en Crète. Sans doute les Anglais ne désirent pas qu’on touche à l’intégrité de l’empire ottoman ; mais si, malgré leurs efforts, la chute de la Turquie devenait inévitable, ils prendraient, conformément à la morale d’une fable de La Fontaine, — leur part des dépouilles du moment qu’ils ne pourraient pas empêcher un partage général. L’Égypte d’abord, la Crète ensuite, semblent les gîtes d’étape qu’ils ambitionnent sur la route des Indes. Les revues ont discuté cette annexion éventuelle, et il en a été question, si nos souvenirs sont exacts, à la chambre des communes ; en Crète même, on dit que quelques tentatives ont été faites pour sonder la manière de voir de la population grecque. Elles ont dépassé le but, car en novembre 1875 les Crétois croyaient fermement qu’ils allaient devenir sujets de la reine. Dans leur empressement de changer de régime, ils préparèrent un pétitionnement que les agens britanniques dans l’île ne purent arrêter qu’en démentant dans une forme officielle toute velléité d’annexion.

Il est difficile d’admettre que les Crétois puissent jamais se féliciter de leur réunion aux domaines de la couronne d’Angleterre ou de toute autre grande nation occidentale. Des colons qui viendraient de la Grande-Bretagne s’établir dans l’île et l’exploiter monopoliseraient toute la production locale à l’aide de leurs capitaux ; l’indolence Crétoise ne pourrait supporter la concurrence de l’énergie anglaise. Les bienfaits qu’apporte avec lui un régime civilisé seraient particulièrement odieux à la génération actuelle des paysans grecs et turcs, aussi bien qu’au petit commerce des villes. Dominés par