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d’empressement qu’ils mettent quelquefois à profiter de la victoire ; la lutte a duré parce que les insurgés communiquaient librement avec l’Europe, parce que les volontaires accouraient en foule de Grèce, d’Italie et de France, leur portant ainsi le gage des sympathies de l’Occident. Un moment même, on a pu croire que l’un des arbitres de la politique européenne était converti à leur cause ; l’ambassadeur d’un grand pays fit entendre, dit-on, à la Porte qu’il convenait de se résigner à perdre l’île. Mais bientôt les courans de la politique changèrent de direction ; l’impossibilité de tenir plus longtemps contre les forces régulières de la Turquie décida les insurgés à déposer les armes.

Il n’est pas probable que, quoi qu’il arrive, ils trouvent aujourd’hui les mêmes encouragemens que lors de la dernière lutte. L’opinion européenne n’était pas alors désenchantée du principe des nationalités proclamé et soutenu par Napoléon III ; on n’était pas loin de considérer la communauté de langue et d’origine entre les Crétois et les Grecs indépendans comme créant en leur faveur un droit à l’annexion de l’île au royaume ; les théories des frontières nécessaires et des grandes agglomérations nationales, qui ont fait payer si cher à notre pays la faveur qu’elles y ont trouvée, étaient à la mode, et tous ceux qui désiraient des nouveautés se fondaient sur leurs sophistiques formules. L’expérience de la vanité de ces systèmes a éclairé le monde ; on raisonne autrement depuis que de terribles leçons ont démontré ce qu’ils valent. Les révoltés de Crète pourront donc s’attendre à ces sympathies vagues que leur vaudra la communauté de religion et l’opinion, générale en Europe, d’après laquelle les Grecs sont dans le Levant les initiateurs de la civilisation et des lumières occidentales ; mais les volontaires convaincus, disposés à verser leur sang, ne semblent plus devoir venir en foule, comme jadis, de Trieste, de Gênes et de Marseille. Les garibaldiens ont vieilli, et les déboires de la campagne de 1867 leur ont laissé des souvenirs qui paralyseront beaucoup d’enthousiasmes sincères. Quant aux aventuriers qui se donnent toujours rendez-vous dans les pays troublés, ils ne manqueront pas d’accourir : ils ne pourraient que nuire à la cause insurrectionnelle ; comme d’ailleurs le butin à faire est maigre et la vie de pallikare fort dure, ils ne feront pas long séjour.

Il est certain cependant que la Grèce, du moment où elle aura donné le mot d’ordre jusqu’à l’arrivée duquel les Crétois resteront en paix, fera tous ses efforts pour les seconder. Les exploits de l’Arkadion et du Panhellénion seraient difficiles à renouveler. La flotte ottomane, bien qu’occupée dans la Mer-Noire, pourra expédier une division dans l’Archipel. Les vaisseaux Turcs, pourvus d’une formidable artillerie, possèdent une vitesse que ne diminue pas