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une abondante subsistance. Là où la contrée s’abaisse vers la mer, la verdure métallique des oliviers donne partout au paysage son caractère particulier. Sur les bords des rivières, elle se confond avec celle des saules et des platanes ; dans certains cantons, l’olivier se mêle au châtaignier et au cyprès. Au printemps, les yeux sont éblouis et charmés par le contraste des montagnes neigeuses avec les plaines verdoyantes qui s’étalent à leur pied ; les forêts d’orangers dont les fruits d’or brillent sur un feuillage sombre s’étendent jusqu’à la plage, comme une mer verdoyante qui va rejoindre l’étincelante mer bleue. Du sommet dépouillé de l’Ida, on voit à ses pieds l’île et ses deux caps extrêmes, puis d’un côté la mer d’Afrique, de l’autre l’Archipel ; s’allongeant dans ces deux mers opposées, les caps et les presqu’îles sans nombre semblent des contre-forts dont les puissantes assises plongent au fond des eaux pour défendre contre la colère des élémens la stabilité du rempart de l’Archipel.

Les villages sont nombreux, pittoresquement situés d’ordinaire, et de loin ils contribuent à l’ornement du paysage ; mais l’illusion cesse dès que l’on voit de près leurs pauvres habitations. Bâties en bois, elles escaladent hardiment des pentes fort raides, plantées de sapins. Les villages de la plaine se composent presque toujours de groupes de fermés et de cabanes répandues sur un vaste espace. Il n’y a que quatre villes dignes de ce nom : Candie, La Canée, Rétimo et Hiérapétra. Candie garde quelques monumens de son ancienne prospérité au temps de l’occupation vénitienne ; les trois autres villes sont tristes, sales et malsaines. Leurs ports étroits ne reçoivent que de petits bâtimens. Le voisinage des foyers d’insurrection a fait depuis longtemps préférer La Canée comme chef-lieu administratif de l’île à Candie, ancienne capitale et cité plus importante.

La Crète ne fit parler d’elle, dans l’antiquité, que pendant la période dite héroïque de l’histoire de la Grèce. Peuplée d’abord par les Pélasges et les Phéniciens, elle fut colonisée, comme Sparte, par l’invasion dorienne. Des traces du dialecte dorien subsistent encore dans le langage des montagnards. Illustre du temps de Minos et d’Idoménée, elle ne joue aucun rôle dans les affaires helléniques à partir de la guerre de Troie. Les poètes et les historiens de la Grèce ancienne ont été sévères pour ses habitans ; un mot de la langue usuelle, cité dans tous les vieux lexiques, grec, signifiait mentir, être fourbe comme un Crétois. D’autre part, dans l’épître à Tite, saint Paul nous a conservé un vers grec d’un de leurs poètes qui portait sur ses compatriotes ce jugement peu flatteur : « les Crétois sont des menteurs, de méchans animaux, des ventres paresseux. » Il convient sans doute de professer à l’égard