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d’apporter les mêmes sentimens d’animosité et d’impiété qui caractérisent la philosophie de Schopenhauer. Au contraire, dans la comparaison qu’institue l’auteur entre sa doctrine et la nôtre, sa pensée va se présenter sous un nouveau jour qui la rendra plus acceptable qu’elle ne l’avait semblé au premier abord.

Il se demande pourquoi le théisme s’est tant préoccupé jusqu’à ce jour d’attribuer à Dieu une conscience propre dans la sphère de sa divinité, et il donne de ce fait deux raisons, l’une et l’autre, dit-il, également respectables. D’une part, l’homme frémissait à la pensée que, si un Dieu conscient n’existait pas, il n’était plus lui-même que le produit des forces brutes de la nature, l’effet d’une combinaison fortuite qu’une nécessité aveugle a produite sans cause et qu’elle détruira sans raison. En second lieu, on voulait honorer Dieu en lui prêtant toutes les perfections possibles, et l’on craignait de le dépouiller d’une perfection considérée par l’homme comme la plus haute de toutes, la conscience de la personnalité. Ces deux craintes doivent s’évanouir devant la vraie conception de l’inconscient : « Notre impuissance, dit-il, à nous faire une idée positive du mode de connaissance propre à l’intelligence absolue nous condamne à la définir par opposition avec notre manière de connaître, à savoir la conscience, et par suite, de ne lui prêter aucun attribut autre que l’inconscience. » Mais l’inconscience n’est pas l’activité aveugle. L’intelligence de l’inconscient est si loin d’être aveugle qu’elle est au contraire absolument clairvoyante et infaillible : elle n’est pas inférieure à la conscience, mais supérieure à la conscience. Elle est supra-consciente. L’on n’a donc pas à craindre de voir Dieu diminué par la perte de la conscience. Au contraire, ce serait plutôt ce prédicat qui l’amoindrirait. La seule vraie perfection, c’est une intelligence rationnelle. Or l’inconscient la possède au même titre que le Dieu théiste. La conscience suppose l’opposition du sujet et de l’objet : c’est une limite, et, suivant le critérium des théistes eux-mêmes, nous devons écarter du concept de Dieu toute limitation. Sans doute, pour nous autres hommes, la conscience et la personnalité sont des perfections, parce que nous vivons dans le monde de l’individuation et de ses limites ; mais en soi et pour soi la conscience n’est pas une perfection.

Il est évident que la question posée en ces termes prend un tout autre aspect. Autre chose est l’inconscience, autre chose la supra-conscience. L’inconscience, c’est la non-conscience ; la supra-conscience pourrait bien être une conscience supérieure. Si M. de Hartmann admet une intelligence dont il ne peut se faire une idée positive, pourquoi n’admettrait-on pas une conscience dont on ne pourrait se faire une idée positive ? S’il a admis l’intelligence dans l’absolu par cette seule raison que la volonté sans intelligence est