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inconscient ou obscur dans les choses, est une véritable acquisition pour la science. La seconde, quoique pleine de talent, nous paraît une œuvre hybride et artificielle, composée de pièces et de morceaux, et où le désir d’être original est plus frappant que l’originalité elle-même. Cependant la nature de notre étude, essentiellement métaphysique, nous oblige à faire ce tort à l’auteur d’insister plus sur la seconde partie que sur la première. Le lecteur voudra donc bien atténuer les critiques que notre sujet nous impose par les approbations qui portent précisément sur ce qu’il nous interdit.

La métaphysique de M. de Hartmann a pour objet d’établir non-seulement, comme nous le disions, qu’il y a de l’inconscient dans la nature, mais que le principe des choses est inconscient. Il l’est par essence ; il l’est d’une manière absolue : aussi peut-il être appelé l’inconscient. Cette dénomination n’aurait aucun sens, si l’on admettait que le principe des choses est la matière. Si en effet le monde n’est qu’une agrégation de particules purement matérielles, c’est-à-dire étendues, figurées, mobiles, dures, impénétrables etc., il n’y a pas lieu de se demander si de telles substances sont conscientes ou inconscientes ; la question n’aurait pas même de sens. Elle ne se pose que lorsque l’on s’est élevé au-dessus du matérialisme, et qu’au-delà de la matière on admet un principe supra-sensible, la force. Hartmann non-seulement superpose la force à la matière, mais il réduit absolument la matière à la force. Maintenant la force elle-même, si elle n’obéissait qu’à des lois physiques et mécaniques, n’aurait nul besoin de conscience, et il serait par conséquent inutile encore de la caractériser par l’attribut de l’inconscience. Jamais les physiciens n’ont appelé la force ni consciente ni inconsciente. On n’emploie cette expression que lorsqu’on rencontre des faits qui sembleraient devoir s’expliquer par la conscience, qui sont des apparences de conscience, à savoir des faits d’art, de combinaison et de science. Ici donc, comme dans Schopenhauer, les faits de finalité sont la base et la matière du système. Sans finalité, pas de volonté, et par conséquent nul lieu de se demander si le principe des choses est conscient ou inconscient. Une telle expression suppose tout au moins la volonté ; ce n’est pas tout. Si l’on admet avec Schopenhauer que le principe absolu est une volonté, mais une volonté sans intelligence, que l’intelligence est un fait secondaire et surajouté, il serait encore sans signification de l’appeler inconscient, car il va de soi que ce qui n’est pas intelligent n’est pas conscient, et cela est inutile à dire. La question n’a donc un sens que si on admet que le principe des choses non-seulement est une volonté, mais encore une intelligence. Alors il vaut la peine de dire que cette intelligence est inconsciente, précisément parce qu’on est habitué à penser et affirmer le contraire. L’inconscience devient alors un attribut