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sich, tandis que Fichte, plus logique, faisait disparaître complètement cette chose en soi, Schopenhauer au contraire la rétablissait, la restaurait sous le nom de volonté, et prétendait ainsi concilier le réalisme et l’idéalisme. Comment atteindre cette chose en soi, si tout ne nous est connu que subjectivement ? Notre philosophe résolvait ce problème en distinguant le dehors et le dedans. Du dehors, l’être ne nous est connu que tel qu’il nous apparaît ; mais par le dedans il nous est connu tel qu’il est, et par là il échappe aux conditions de la subjectivité. « Nous voyons, dit-il, qu’il est impossible de pénétrer par le dehors dans l’essence des choses. De quelque manière qu’on s’y prenne, on n’atteint que des images et des mots. On ressemble à quelqu’un qui tournerait autour d’un château pour y trouver un accès, et qui se contenterait d’en prendre le croquis. C’est cependant le seul chemin que tous les philosophes ont suivi avant moi. » Même l’individu, quand il se considère du dehors, comme il considère les autres êtres, c’est-à-dire au point de vue de l’espace, du temps, de la causalité, n’est encore, comme tout le reste, qu’une représentation ; mais il est présent à lui-même d’une autre manière, à titre de volonté : « Le mot du problème est : volonté. C’est ce mot, et ce mot seul, qui lui donne la clé de son propre phénomène et lui en fait voir la signification, qui lui montre les ressorts intérieurs de son être, de son action, de ses mouvemens. Le sujet de la connaissance, qui, comme individu, se manifeste à lui-même par son identité avec le corps, connaît ce corps (c’est-à-dire lui-même) de deux manières différentes : d’une part comme représentation dans une intuition, comme un objet entre les objets, soumis aux lois de l’objectivité, et en second lieu d’une tout autre manière, comme quelque chose d’immédiatement connu de chacun, ce que désigne le mot volonté. Tout acte vrai de volonté est infailliblement un mouvement du corps ; cette volonté ne peut vouloir l’acte sans le percevoir en même temps comme mouvement du corps. L’acte et l’action du corps ne sont pas deux états distincts, objectivement connus, unis par le lien de la causalité, et dans le rapport de la cause à l’effet : ils ne sont qu’une seule et même chose, donnée de deux manières différentes, d’une part immédiatement, et de l’autre dans une intuition pour l’entendement. L’action du corps n’est autre chose que l’acte de la volonté objective[1]. »

Tel est le point de départ de Schopenhauer, tel est le principe original de sa doctrine. Il se ramène à deux points : le premier, c’est que la chose en soi, le réel, ne peut être saisi par le dehors, mais se saisit lui-même intérieurement dans l’acte de volonté. Le

  1. Die Welt als Wille, II Buch, § 18, p. 119 (3e édlt., Leipzig 1859).