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gris. Nous n’ignorons pas que le blanc pur n’existe pas par masse dans la nature et que le coloriste ne saurait exprimer un effet contraire aux lois de la couleur. Toutefois il y a dans les degrés de marbre et dans les parois unies des églises, et jusque sur la mousseline des robes de première communion, de larges jets de lumière blanche qu’un pinceau audacieux aurait pu rendre. On doit aussi critiquer les têtes de ces petites filles, d’un faire très lâché, d’une banalité sans égale. Ces enfans ne disent rien, ce qui est leur devoir, mais elles n’en pensent pas davantage, ce qui n’est guère en situation. Le groupe des parens et des amis, hommes en redingotes à la mode et femmes en élégante toilette de ville, qui s’accoudent sur la balustrade de l’escalier en des attitudes gracieuses parce qu’elles sont naturelles, est d’une couleur riche et franche ; mais il n’est pas assez poussé au relief pour s’interposer devant les figures du second plan et leur donner leur valeur juste. Ce groupe, qui devrait être comme la clé de voûte du tableau, manque de solidité, ce qui fait que tout le reste ne se tient plus. Les règles de la perspective linéaire sont d’ailleurs mal observées.

M. Gaston Mélingue expose un Déjeuner chez Molière, à Auteuil, qui ne perdrait pas à être exécuté en de moindres proportions. Puisque M. G. Mélingue paraît de taille à lutter contre les difficultés de la grande peinture, qu’il fasse donc de l’histoire et non de l’anecdote. Les deux frères ont un talent égal, mais M. Lucien Mélingue sait choisir ses sujets. L’auteur du Déjeuner de Molière est d’ailleurs plus coloriste. Le costume de Chapelle, qui déclame au premier plan, éclate en un brillant ramage de couleurs ; quel feu d’artifice de gaies nuances ! Pour M. Pierre Cabanel, il ne tirera jamais de feu d’artifice. Son Naufrage sur les côtes de Bretagne est un tableau mélodramatique composé ou plutôt mis en scène comme à l’Ambigu. C’est peint avec une rare insuffisance de touche et une rare crudité de tons.

M. Jaroslav Cermak donne en plein dans l’actualité. Il a peint des Herzégoviniens qui, de retour dans leur village, le trouvent pillé et détruit par les bachi-bozouks. De l’église en ruines, il ne reste que des pans de murs. Les tombes du cimetière sont violées ; les squelettes gisent épars dans l’herbe drue, et, aimable invention des irréguliers turcs, les têtes des cadavres sont piquées au bout de bâtons fichés en terre. Il y a dans cette toile, qui pourrait servir à illustrer l’Histoire de la Turquie, la vive couleur et la facture un peu molle qu’on est accoutumé de trouver dans les œuvres de M. Cermak. Les Moccoli de M. de Conninck sont aussi une scène toute contemporaine. Des femmes, penchées à une fenêtre, saluent, en tenant des bougies à la main, la fin du carnaval de Rome. J’appellerais volontiers ce tableau les Trois chandelles, car au premier aspect