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condamné. Au pied des degrés du palais, Jésus, tout en blanc et chargé de la croix, s’avance entouré d’une escorte de soldats. Devant lui, l’espace est vide, car, pour laisser le passage libre au cortège, des cavaliers romains ont repoussé la foule, qui reflue en tumulte des deux côtés de la rue. Se bousculant, se serrant, se haussant sur les pieds, agitant les bras, criant, vociférant, une multitude d’hommes et de femmes se pressent devant les hautes maisons de style arabe pour voir passer le Juste condamné. Par un parti-pris très hardi de lumière, qu’autorisent l’heure matinale de la journée (il était environ huit heures, selon saint Marc) et la hauteur des maisons, tout le côté droit de la rue se perd dans une ombre intense et tout le côté gauche s’atténue dans la demi-teinte. Le seul point lumineux du tableau, c’est Jésus, éclairé obliquement. Autour de lui s’étend l’ombre. Lui est le rayonnement. La composition est admirablement conçue. Au milieu de cette foule confuse, où s’agitent peut-être cinq cents figures, une seule se détache nettement, une seule apparaît en pleine lumière, une seule est visible : la figure divine du Christ. Et à cause des exigences de la perspective, cette figure, qui est au dernier plan, est naturellement la plus petite de tout le tableau. Gustave Doré est un grand coloriste à la condition qu’il n’emploie pas les couleurs. Quand il veut faire de la couleur, il a beau jeter sur la toile les tons les plus vifs de la palette, ces tons éclatans en eux-mêmes perdent toute leur valeur par une malencontreuse juxtaposition. Mais où Gustave Doré se montre un inimitable coloriste, c’est dans ses vibrantes oppositions d’ombres et de lumière. La couleur proprement dite n’est pour rien là dedans. Avec l’eau-forte ou le fusain, Gustave Doré obtiendrait le même effet de lumière qu’avec le pinceau. Il faut dire aussi que Gustave Doré n’accuse pas avec la précision voulue le caractère des physionomies ni le galbe des figures. Il procède par des à-peu-près, d’une façon décorative, voyant seulement l’ensemble, visant seulement à l’effet. Sa touche est lâchée. Ses corps, d’un beau dessin s’ils sont nus, d’un jet très pittoresque s’ils sont drapés, manquent de relief et de vie. Qu’importe d’ailleurs que Gustave Doré ne soit pas un maître peintre, s’il est un grand artiste ?

D’autres peintures religieuses méritent encore sinon une station, du moins un regard. Le Saint Saturnin martyr, de M. Chartran, d’une composition symétrique, d’une exécution suffisante et d’une couleur discrète, convient bien à la décoration d’une église. La Martyre aux catacombes, du même artiste, est une Ophélie chrétienne couchée dans sa robe blanche sur la terre des catacombes, qu’a jonchée de fleurs quelque main pieuse. Le visage décoloré qu’éclaire le sourire de la béatification a un charme pénétrant. On demanderait une facture moins veule et plus soutenue. M. Ronot a peint la Colère