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c’est la même alliance du poncif byzantin pour la figure de la Vierge et de la recherche naturaliste pour la figure de la mère éplorée ; mais comme M. Bouguereau a tous les dons, sauf le don de vie, ce contraste est moins criant que dans l’œuvre de M. Humbert. La mère, en dépit de ses yeux rougis par les larmes, de ses bras très étudiés sur le modèle et de ses pieds un peu vulgaires de forme, n’est pas plus vivante que la Vierge. La tête nimbée d’or, le corps drapé de bleu foncé et de rouge, selon les lois de l’hagiographie, la Vierge est assise sur un siège de marbre. Elle tient ses deux mains élevées et grandes ouvertes. Une femme, dont la tunique de deuil est dégrafée à l’épaule, gît presque inanimée sur les genoux de la divine consolatrice. Elle est là dans tout l’abattement du désespoir, le corps affaissé, les bras pendans inertes, la face pâlie et émaciée par les veilles et la douleur. Inconsolable parce qu’elle ne veut pas être consolée, — inconsolata quia nolet consolari, — c’est une jeune mère qui pleure son enfant étendu mort aux pieds de la Vierge, sur les dalles de la chapelle. Ce petit cadavre d’un gris livide dans les ombres et d’un blanc de cire dans les clairs est supérieurement modelé. Nous blâmerons toutefois l’écartement disgracieux des jambes. C’est là, sans revenir sur la facture léchée, le seul reproche que l’on puisse faire au tableau de M. Bouguereau, à qui on impute à crime sa manière trop parfaite et sa correction impeccable. — Cela manque d’inexpérience, entendions-nous dire à quelqu’un tandis que nous admirions cette belle œuvre, qui, par la grandeur du sentiment, l’ordonnance simple de la composition et l’impression profonde qu’elle inspire, est sans contredit le seul tableau véritablement religieux du Salon.

Par un parti-pris que rien ne justifie, on affecte de ne voir en Gustave Doré qu’un merveilleux compositeur de vignettes. On lui dénie le droit au travail, lui qui est le travail fait homme ; on lui refusé de faire de la grande peinture, lui qui peint à fresque sur le buis des bois, lui qui est un des artistes les plus originaux, les plus puissans et les plus inventifs de ce temps. On en veut à Gustave Doré de sa fécondité surprenante et de son génie pittoresque. Aujourd’hui que la plupart des peintres peuvent à peine grouper trois figures qui se tiennent, on s’indigne que Gustave Doré se joue en ces compositions compliquées, fourmillant de figures et dégageant dans leur confusion mouvementée l’unité de l’action commune. Nous aurions aimé à discuter le talent de M. Gustave Doré devant une de ces grandes toiles épiques qu’il prodigue chaque année ; mais au Salon de 1877 il n’a exposé qu’un tableau de chevalet qui, en dépit de ses proportions réduites, porte la marque puissante du peintre. L’œil plonge dans une longue rue de Jérusalem qui aboutit devant le prétoire, l’ancien palais d’Hérode où Jésus vient d’être