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que le précurseur vient d’être exécuté. Les parois ne se tiennent pas. Si elles ne paraissaient cotonneuses, on craindrait de les voir tomber et écraser bourreau et supplicié. L’Hérodiade qui porte dans un plat le chef du saint a l’air d’une fille d’auberge. Le cadavre étendu à ses pieds est d’un ton sale, et le sang coule de ce tronc mutilé comme un flot de bitume. Le bourreau, tourné vers Hérodiade, montre son dos nu et musclé. Nous avons vu si souvent ces figures de dos, cambrées sur les reins, avec le torse nu, que nous ne nous arrêtons plus à les regarder. Pourquoi d’ailleurs prendre un sujet aussi usé que le Saint Jean-Baptiste, si on ne sait pas le rajeunir par la majesté du style ou par la puissance de l’exécution ? C’est ce qu’a fait M. Henner dans sa Tête de saint Jean-Baptiste posée sur le plat classique. Voilà un admirable modelé. Comme on sent la structure du crâne et de la face sous cette peau d’ivoire. Cette petite toile serait un chef d’œuvre si le sentiment égalait l’exécution. On devrait sentir la pensée religieuse du saint emplir encore ce front décoloré, et le dernier acte de foi du précurseur s’exhaler de ces lèvres où se posent les violettes de la mort.

M. Humbert, qui marche vaillamment au premier rang des peintres de la jeune école contemporaine, a suivi pour le Christ de sa Femme adultère la tradition byzantine. Ce n’est point le Jésus de l’Évangile dans son aspect humain ; c’est le Sauveur tel qu’on le voit en sa raideur hiératique dans les œuvres de l’art primitif. Au contraire, M. Humbert a conçu la femme adultère en peintre naturaliste. Il a prodigué, pour la rendre vivante et réelle, toutes les magies du pinceau. Ce contraste voulu entre la convention et la réalité déroute l’esprit. De là résulte l’effet incomplet de cette scène qui a pour décor l’intérieur d’une chapelle byzantine, toute brillante d’appliques de marbres polychromes et éclairée par deux lampes d’or émaillé, constellées de pierreries. Vêtu d’une robe bleue lamée d’or, dont les plis rigides tombent jusqu’à ses pieds, le Christ s’est levé de son siège de marbre. Sa physionomie a plus de mélancolie que de grandeur. La femme adultère, presque nue, à peine couverte d’un lambeau d’étoffe rose pâle qui lui cache les jambes, se prosterne devant le Sauveur et lui embrasse les genoux. Ses gestes sont de la suppliante, mais ses yeux noyés sont de l’amoureuse. Son corps frémissant, peint par touches larges et grasses, se modèle en puissant relief avec toute l’apparence de la vie. Le gris nacré de la chair, imperceptiblement marbrée de rose aux jointures et aux extrémités, est rendu à merveille dans sa vérité, dans sa transparence et dans son éclat.

M. Bouguereau, dont la manière cependant diffère étrangement de celle de M. Humbert, a conçu dans le style même qu’a adopté celui-ci sa Vierge consolatrice. Comme dans la Femme adultère,