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Le Saint Sébastien témoigne d’un effort généreux dont il faut savoir tenir compte à M. G. Boulanger. Debout au haut d’un escalier de marbre blanc, saint Sébastien, ouvrant son suaire pour montrer son torse couvert des stigmates du martyre, apparaît à Maximien Hercule. « Maximien ! crie-t-il à l’empereur, qui à sa vue s’arrête effrayé au bas de l’escalier, Maximien ! je suis sorti de la tombe pour t’annoncer que le jour de la vengeance divine est proche. » La figure du saint est d’un beau dessin et d’un modelé savant, bien que d’une anatomie trop accentuée. Les muscles des bras sont tendus comme des câbles, et l’armature de la poitrine menace de percer la peau. La pose du martyr, élevant son suaire au-dessus de sa tête, les deux bras écartés, est trop théâtrale. On dirait qu’il veut faire peur à des petits enfans. Il semble cependant qu’il n’est pas besoin à un spectre de rouler de gros yeux et de prendre des poses ; il n’a qu’à se montrer, et cela suffit. La terreur de l’empereur et de ses licteurs est aussi exagérée ; ce n’est plus de l’effroi, c’est de l’effarement.

Une scène analogue a été conçue avec plus de sentiment et exprimée avec plus de simplicité par M. Wœrtz. Il s’agit d’une des légendes de la vie de saint François d’Assise. Le pape Nicolas IV, désirant voir le corps du saint, mort depuis soixante ans, descendit dans le caveau où était le tombeau, et y trouva le béatifié a droit sur ses pieds, les yeux ouverts comme un vivant et levés vers le ciel. » M. Wœrtz a traduit fidèlement sur la toile le texte de la Vie des saints. Au fond d’une crypte obscure, aux arceaux surbaissés, le saint se tient raide sur ses pieds, tout en n’ayant pas l’air de toucher à la terre. Ses mains, couvertes des longues manches du froc, s’entre-croisent sur l’estomac, suivant la règle des frères mineurs. A droite, un jeune moine, qui porte une torche à la main, tremble de peur, tandis qu’au premier plan le vieux pape est tombé à genoux et se prosterne dans une attitude à la fois pleine de grandeur et d’humilité. A gauche, au pied d’un escalier qu’ils viennent de descendre, un cardinal, un évêque et un diacre regardent cette apparition avec un étonnement religieux. Ce groupe, qui n’est pas bien lié aux autres figures, est le point faible de cette œuvre. La robe rouge du cardinal, d’un éclat trop vif, détonne dans la gamme vigoureuse, mais très sobre, de l’autre partie du tableau, où tout est peint pour ainsi dire sans couleurs, dans un parti-pris de camaïeu brun et fauve. On ne saurait trop louer la figure du pape qui, jusque dans sa posé humiliée, garde la majesté pontificale. La silhouette miraculeuse du saint est aussi d’un très grand effet, qu’augmente encore la vigoureuse ombre portée du corps qui se profile en noir sur la muraille. A la vérité, une apparition qui est elle-même une ombre peut-elle produire une ombre ? C’est une