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soldats réguliers et les fédérés échangeaient. Un surveillant nommé Laurent se dévoua ; filant sur le quai de l’Horloge et se glissant le long des maisons, il réussit à faire apercevoir un mouchoir blanc qu’il agitait au bout d’un parapluie. La troupe de ligne cessa le feu ; les détenus purent être amenés au terre-plein du Pont-Neuf ; de là ils furent dirigés sur l’hôtel de la Monnaie, d’où ils regagnèrent les uns leur domicile, les autres les quartiers de Paris où la bataille avait déjà pris fin.

On s’attendait, dans les salles du dépôt, à voir les plafonds s’ouvrir pour laisser passer les flammes, et l’on fut bien surpris d’en voir tomber un torrent d’eau. Le réservoir central fournissant l’eau aux besoins de la prison et du Palais de Justice, entouré, dessoudé par les flammes, venait de crever et laissait échapper son contenu, qui, ralentissant les progrès de l’incendie, se répandait comme une inondation. C’était un inconvénient pour les habitans du dépôt, qui avaient de l’eau jusqu’aux chevilles ; mais c’était en quelque sorte le salut, car les plafonds saturés d’humidité, les murailles imbibées, les parquets trempés opposaient désormais à l’incendie une force de résistance considérable. Vers cinq heures du soir, un peloton du 79e de ligne, commandé par un capitaine, se présenta au dépôt et en prit possession ; on fit fête aux « pantalons rouges » que l’on attendait avec anxiété depuis deux mois, et l’on passa la nuit au milieu des buées tièdes que l’eau écoulée, chauffée par l’incendie, répandait dans toutes les salles. Le lendemain, les pompes de Riom (Puy-de-Dôme), celles de Chartres, celles de Nogent-le-Rotrou, avaient noyé les deux étages enflammés au-dessus du dépôt et préservaient définitivement celui-ci.


Le 24 mars, Pierre Braquond, humilié d’être commandé par Garreau, révolté dans son cœur contre l’insurrection victorieuse, était entré dans la cellule du président Bonjean et lui avait dit : « J’en ai assez de ce carnaval ; je vais partir et rejoindre nos chefs, qui sont à Versailles. » M. Bonjean lui avait répondu : « Comme magistrat, je vous ordonne de ne point quitter votre poste ; comme prisonnier, je vous en prie. Si vous et vos camarades vous partez, vous serez remplacés par des insurgés, et l’on nous maltraitera ; je vous adjure de rester pour protéger les pauvres détenus. » Braquond avait obéi, il fut fidèle à la consigne que M. Bonjean lui avait donnée ; il sauva le dépôt de l’incendie et sut arracher tous les otages, sauf le malheureux George Veysset, à la mort que Ferré leur avait réservée.


MAXIME DU CAMP.