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On essaya du moins de sauver quelques meubles, quelques papiers et surtout d’empêcher l’incendie de s’étendre, de gagner la portion de la rue de Harlay encore indemne, et d’envahir la place Dauphine ; le vent soufflait de l’est et chassait les flammes contre les maisons d’en face. Du haut des toits, par les fenêtres, on les inondait d’eau que l’on apportait à la main, dans des seaux, dans des vases, dans des terrines, dans tous les récipiens que l’on avait pu découvrir. C’est ainsi que l’on parvint à protéger les bâtimens réservés aux services de la deuxième division, de la comptabilité et d’une partie du secrétariat général. On put aussi, grâce à l’énergique initiative de M. Lebois, traîner loin de tout danger immédiat trois camions de roulage, chargés de caisses, de ballots appartenant à M. Galbrun, commissionnaire-expéditeur, et que la commune avait, on ne sait pourquoi, fait saisir par voie de réquisition au chemin de fer de l’Ouest. Vers la rue de Jérusalem, M. Claude Richard, employé à la sûreté générale, sauvait ses registres, ses papiers les plus importans, et n’était chassé loin du péril que par une explosion qui faillit le tuer. Toute la journée, toute la soirée, les vaillans habitans de la place Dauphine restèrent au poste périlleux qu’ils occupaient volontairement. Les premiers secours leur arrivèrent dans la nuit, à onze heures et demie : c’étaient les pompiers de Maisons-Laffitte ; à une heure du matin, les pompes de Rambouillet purent se mettre en batterie contre ce qui subsistait de l’hôtel des présidens au parlement. Comme aux jours de l’insurrection de juin 1848, les forces vitales de la France accouraient pour sauver Paris, Le lendemain, 25 mai, M. Bresson, alors commis principal, actuellement sous-chef à la première division de la préfecture de police, accourant de Versailles, pénétrait au risque de sa vie dans ces ruines en feu, se glissait sous les plafonds près de s’abîmer et parvenait à arracher à la destruction une partie des documens manuscrits appartenant au service des mœurs et aux sommiers judiciaires.

L’enlèvement des poudres préservait le dépôt d’une catastrophe immédiate ; mais le péril qui menaçait la prison n’était point conjuré, tant s’en faut : de tous côtés le feu l’entourait. Les détenus auraient voulu fuir ; ils tourbillonnaient dans les cours, que de toutes parts dominaient les flammes. Connaissant mal les détours intérieurs de la préfecture et du palais, ils se dirigèrent au hasard, les uns vers le quai de l’Horloge, les autres vers le quai des Orfèvres. Les deux quais étaient balayés par la fusillade ; quelques-uns de ces malheureux réussirent à s’échapper, d’autres furent blessés, cinq ou six tombèrent morts. La plupart revinrent chercher asile au dépôt, qui leur fut immédiatement ouvert. Dès qu’ils furent rentrés, Braquond avait fait clore la porte et avait défendu