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fatalement entraîner celui du dépôt ; la situation des détenus pouvait rapidement devenir intolérable.

Cependant on persistait à appeler Michel, qui continuait à donner des coups de pied dans sa porte ; Ferré libellait des listes qu’il ne parvenait pas à compléter ; les surveillans, comprenant que cette atroce comédie touchait à sa fin, entr’ouvraient les cellules et disaient aux détenus : « Bon courage, ça ne va pas durer longtemps encore. » tout à coup on entendit des cris perçans et terribles : c’étaient les femmes enfermées dans l’annexe qui devenaient folles d’épouvante en voyant brûler sous leurs yeux la galerie de bois de la préfecture de police ; les flammes battaient les murailles de leur section et faisaient éclater les vitres des fenêtres. Les clameurs suraiguës que poussaient ces malheureuses retentissaient comme des appels désespérés dans les vastes couloirs du dépôt. Ferré, visiblement troublé et arrivé au dernier degré de l’irritation nerveuse, s’écria : « Mais faites donc taire ces braillardes ! » À ce moment, un des « magistrats, » compagnons de Ferré, sortit. Le directeur Fouet dit alors au sous-brigadier Braquond d’aller engager les femmes à « prendre patience. » C’en était trop ; c’est peut-être cette cruelle niaiserie qui entraîna le dénoûment. Braquond se récria : « Aurez-vous le courage de laisser brûler ces pauvres créatures ? — Bah ! répondit Fouet, ce sont les femelles des gendarmes et des sergens de ville, nous en serons débarrassés. » Braquond n’y tint plus ; son vieux cœur de soldat honnête se souleva : il joua son va-tout, il joua sa vie et gagna.

Il courut dans le couloir et cria de toutes ses forces : « Ouvrez les portes des cellules, ouvrez les portes des communs ! » Les surveillans obéirent. Ce fut une avalanche humaine qui se précipita dans les corridors ; quatre cent cinquante détenus se ruèrent derrière Braquond, qui les maintint en groupe compacte pendant quelques instans et se mit à leur tête en disant : « Allons voir ce que ces assassins vont faire de nous ! » Lorsqu’il revint au grand guichet, il eut tout juste le temps d’apercevoir le dernier des Vengeurs de Flourens qui disparaissait par la porte ouverte. Que s’était-il donc passé ? Il est assez difficile de le déterminer d’une façon précise ; deux versions sont en présence et ne sont point inconciliables. Selon la première, Ferré, entendant bruire le flot des détenus qui s’agitaient dans le couloir, se serait levé tout à coup et se serait rapidement éloigné en entraînant tout son monde. Le feu se rapprochait, les cris des femmes pouvaient faire croire que le dépôt lui-même s’embrasait. Ferré, se souvenant des ordres qu’il avait donnés, se rappelant les amas de poudre qui avaient été entassés au rez-de-chaussée de la préfecture de police, craignant sans doute de voir se