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pendant vingt-quatre heures. Il était homme à ne reculer devant rien, et nous allons nous en convaincre.

Ce même jour, lundi 22, vers quatre heures du soir, un peloton de Vengeurs de Flourens[1], reconnaissables à leur képi blanc, amena au dépôt un homme vêtu en fédéré, qui fut écroué sous le nom de Jean Vaillot, âgé de vingt-huit ans. Le surveillant de service, pour le soustraire aux mauvais traitemens dont on l’accablait, se hâta de le faire entrer dans la cellule no 115. Les hommes qui l’avaient escorté restèrent en groupe, dans la cour, devant la porte de la prison, semblèrent se concerter entre eux, firent partir un des leurs dans la direction de la préfecture de police, où Ferré se tenait en permanence en qualité de délégué à la sûreté générale, et attendirent dans la cour. Pendant ce temps, Vaillot écrivait une lettre longue et diffuse par laquelle il réclamait une somme de cinq francs qui lui avait été enlevée au moment de son arrestation. Quel était ce Jean Vaillot ? Un fédéré récalcitrant ? un garde national compromis dans ce que la commune a appelé la conspiration des brassards ? un des cent cinquante artilleurs que le gouvernement de Versailles avait déguisés et fait entrer secrètement dans Paris ? Nous n’avons jamais pu le savoir d’une façon positive. Le messager expédié par les Vengeurs de Flourens revint, agitant un papier qu’il montra joyeusement à ses camarades. Ceux-ci rentrèrent rapidement au dépôt et communiquèrent au greffier le mandat dont ils étaient porteurs : c’était un ordre d’exécution qu’il est bon de citer pour prouver avec quelle féroce indifférence ces gens-là disposaient de la vie humaine. La feuille de papier est réglée, comme si elle eût été arrachée à un carnet de comptes : « Sans date : Vengeurs de Flourens : ordre est donné de fusiller immédiatement Vaillot Jean, l’individu pris les armes à la main dans l’affaire du 22 mai 1871. » tout ceci est d’une écriture incorrecte et lourde ; pas de signature, mais une simple griffe rouge, très difficile à déchiffrer, où cependant on parvient à lire : Le commandant. Greffier : timbre : liberté, égalité, fraternité ; bataillon des Vengeurs de Flourens ; République française. Par le travers, sous le timbre : Commune de Paris, délégué à direction générale, comité de sûreté générale, on lit : Le délégué à la sûreté générale n’empêche pas l’exécution ordonnée et au contraire l’approuve. — Th. FERRE. » Vaillot fut remis au peloton qui l’attendait : lorsqu’il eut pris place au milieu des fédérés, il réclama énergiquement les cinq francs qu’on lui avait pris ; un des Vengeurs lui répondit : — On va te les rendre, viens avec nous ! — On

  1. D’après les feuilles d’émargement qui ont passé sous nos yeux, les compagnies 1, 2 et 3 du bataillon des Vengeurs de Flourens ont été de garde permanente à la préfecture de police de la fin de mars au 24 mai 1871.