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portes de l’enceinte fortifiée. Pour mieux déjouer les recherches de la police, où M. Veysset n’ignorait pas que Raoul Rigault excellait, il avait trouvé moyen d’avoir sept appartemens différens à sa disposition. Il changeait donc constamment de domicile, mais les conciliabules les plus importans se tenaient ordinairement rue de Madrid, no 29, ou rue de Douai, no 3. C’était un homme adroit, généreux comme ceux qui savent payer les consciences, et qui rendit à l’armée française l’important service d’acheter les chefs des batteries de Montmartre. Pour bien lui prouver que le marché fait était loyal, on encloua deux pièces de canon sous ses yeux ; il versa la somme convenue, 10,000 francs. Le 14 mai, les batteries de Montmartre tuèrent une soixantaine de fédérés à Levallois-Perret, et le Journal officiel du lendemain dit avec modestie : « Le tir n’est pas encore bien juste. »

Ce n’était là qu’une sorte d’intermède à la négociation principale qui suivait son cours. Il s’agissait d’enlever le général Dombrowski à la commune, de lui fournir les moyens de quitter la France en emportant avec lui une somme qui serait presque une fortune. Une lettre écrite par un important personnage du gouvernement de Versailles, en daté du 10 mai, enjoignait à Veysset d’en finir coûte que coûte avec Dombrowski. Un traité fut conclu comme entre puissances de force égale. Toute la ligne des fortifications, depuis la porte du Point-du-Jour jusqu’à la porte Wagram, serait remise à l’armée régulière. « Le gouvernement de Versailles, de son côté, payait à Dombrowski et à son état-major une somme de 1 million 500,000 francs et leur accordait à tous un sauf-conduit qui leur permettrait de sortir de Paris. La somme devait être payée en billets de la Banque de France ou en papier sur la maison Rothschild de Francfort[1]. » Veysset, après l’arrestation de sa femme, s’était réfugié à Saint-Denis, à l’hôtel du Lapin blanc. C’est là qu’il recevait un certain Hutzinger, officier et confident de Dombrowski. Le contrat devait être mis à exécution le 20 mai. Ce jour-là, Hutzinger avait rendez-vous avec Veysset, sur la zone neutre de Saint-Ouen, pour prendre les dernières dispositions. Veysset fut amené au lieu désigné par M. Planat, député ; il s’aboucha avec Hutzinger. Dombrowski avait prescrit toutes les mesures nécessaires : Hutzinger avait fait retirer les artilleurs et cesser le feu ; les bataillons fédérés devaient se replier après avoir abaissé les ponts-levis, sous prétexte de faciliter la sortie du général, qui désirait faire une inspection extérieure, un colonel Mathieu acquis au complot restait chargé de l’exécution de ces ordres. Hutzinger et Veysset convinrent de tout :

  1. Voyez Georges Veysset : Un Épisode de la commune, par Mme de Forsans-Veysset, Bruxelles. Landsberger, 1873.