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compagnons d’armes ; on crut que l’implacable discipline exigeait l’exécution du coupable, et tout espoir fut perdu pour lui. Sa mort fut simple et un peu hésitante. Il retenait à ses côtés, il rappelait le pasteur protestant qui adoucissait pour lui les dernières affaires. Il cherchait à prononcer quelque parole que l’histoire pût recueillir, ne trouvait rien, et se contenta de dire qu’il reconnaissait que ses juges avaient fait leur devoir ; c’est le mot du moine de Saint-Bruno : Justo Judicio damnatus sum.


III. — LES PREMIERES EXECUTIONS.

À la fin d’avril, Garreau, envoyé à la direction de Mazas, fut remplacé au dépôt par un parfumeur boiteux nommé Eugène Fouet, qui, tout en promenant sa claudication dans les corridors, devait se demander pourquoi il avait inopinément passé de la manipulation des pommades à une fonction administrative. Pour parvenir à celle-ci, il avait fait un stage rapide au cabinet de Raoul Rigault en qualité de commissaire de police. Le contact direct avec le chef sans pitié de la commune n’avait point modifié son caractère ; c’était un homme doux, inoffensif, toujours revêtu du costume civil agrémenté de l’écharpe rouge traditionnelle, sans brutalité pour les détenus, et laissant une initiative précieuse à son personnel. Il ne devint mauvais que dans les derniers jours, lorsque déjà l’insurrection était attaquée dans Paris ; il brandissait alors un pistolet, en portait un autre à la ceinture et parlait volontiers de brûler la cervelle à tout le monde ; mais, malgré ses menaces, il fit plus de bruit que de mal. Il ne se faisait pas néanmoins une grande idée du devoir professionnel, car sous sa direction des faits se produisirent au dépôt, qu’il est assez difficile de qualifier. Le soir, vers neuf ou dix heures, des employés au cabinet du délégué à la préfecture de police se présentaient au greffe munis de mandats d’extraction indiquant certaines jeunes femmes incarcérées ou amenées dans la journée de Saint-Lazare. On les remettait à l’envoyé de Cournet, de Rigault ou de Ferré, qui les ramenait le lendemain matin et les faisait réintégrer en prison. Le dépôt était donc une sorte de harem bien fourni où les pachas de la préfecture choisissaient intelligemment quelques compagnes de souper. La dernière extraction de ce genre eut lieu le 20 mai et comprenait cinq jeunes filles nominativement désignées.

Comme toute insurrection victorieuse qui n’a point de raison d’être, la commune était destinée à périr ; mais pendant qu’elle se maintenait encore., elle dépassa toute mesure dans l’arbitraire ; le registre d’écrou du dépôt en fait foi : rien que pour les hommes,