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qu’il n’y en avait plus ; il refusait de le croire, et cependant ce n’était que la vérité. Le dépôt fut enfin débarrassé de cet énergumène de vingt-sept ans, qui faisait plus de bruit lui seul que tous les autres détenus : le 6 avril, on le transporta à la Grande-Roquette ; il en sortit le 11 pour être interné sur parole dans l’Hôtel de Ville et devenir aussitôt après directeur du comité des subsistances.

Quel qu’eût été le sort de la commune, Lullier et Assi n’y auraient jamais pu jouer qu’un rôle secondaire, l’un à cause de son caractère incohérent et mobile, l’autre à cause de son ignorance et de sa vanité insensée. Le 2 avril, le lendemain du jour où Assi avait été écroué, la veille de celui où Lullier devait s’évader, le personnel fut surpris de voir arriver Louis Rossel, arrêté par ordre du commandant de la place de Paris « pour cause politique. » Celui-là passait pour un homme de valeur ; du moins il en avait l’apparence, apparence trompeuse et qui cachait un vide profond où s’agitaient des rêveries sans but et des projets sans formule. Il ne fut pas longtemps maintenu en prison. Dès le 3 avril, Raoul Rigault, qui voyait en lui un homme d’action prêt à tout, le fit délivrer. Selon lui, il avait été arrêté pour avoir essayé d’introduire quelque discipline dans l’armée de la fédération ; selon le comité central, qui l’envoya sous les verrous, on s’en était promptement débarrassé parce que l’on avait pressenti qu’il visait à la dictature ; quelques bons apôtres ont prétendu, après la défaite de la commune, qu’ils avaient cherché à l’annihiler dès le début parce que sa science militaire et ses connaissances spéciales lui permettaient de tenir en échec l’armée française : c’est grand honneur qu’on lui faisait et gros mensonge que l’on proférait. Il avait été arrêté simplement parce que sa nature raide et cassante n’avait point paru se plier aux flagorneries qui seules plaisaient aux maîtres du jour. Raoul Rigault prit sur lui de lever immédiatement son écrou ; il devança de la sorte une décision qui n’était point douteuse, car la commune se serait hâtée de rendre à la liberté un homme vers lequel ses regards se tournaient avec complaisance et qui tranchait singulièrement sur les Duval, les Eudes, les Bergeret, les Lisbonne, et autres grosses épaulettes de pacotille révolutionnaire, dont elle était plus embarrassée que satisfaite. Louis Rossel avait du reste, comme l’on dit, donné des gages. Dans l’armée sous Metz, il s’était montré un des plus mécontens ; il avait fomenté son petit complot et avait même donné des ordres, comme un dictateur improvisé. Évadé après la capitulation, il était venu se mettre à la disposition de la délégation de Tours et avait laissé entrevoir des prétentions excessives ; M. Gambetta le devina sans doute : il reconnut un homme à la fois violent et indécis, sans opinions bien assises et dévoré par une ambition