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glanées dans toutes les provinces de France. Trois recueils d’une véritable importance : le Romancero de Champagne de M. Tarbé (1863-64), les Chants populaires du pays messin de M. de Puymaigre (1865), les Chants et Chansons populaires des provinces de l’ouest de M. J. Bujeaud (1866), vinrent s’ajouter au travail intéressant de M. Max Buchon sur les chansons de la Franche-Comté, et au livre de M. de Beaurepaire sur celles de la Normandie. Enfin depuis peu un recueil dont le titre rappelle ingénieusement la fée poitevine qui bâtissait des châteaux par la seule vertu de son chant merveilleux, — Mélusine, — paraît sous la direction de MM. H. Gaidoz et E. Rolland, et se propose de devenir une sorte de répertoire périodique de la littérature mythologique et des traditions populaires des provinces de France.

Malheureusement pour l’art, presque toutes ces tentatives sont faites par des philologues, plus préoccupés de l’intérêt de la science que de celui de la poésie. Les érudits qui se dévouent à ce travail de sauvetage y recherchent avant tout la solution de certaines théories scientifiques encore très obscures; ils laissent négligemment à l’écart le côté esthétique du sujet. Or, en matière de poésie, je me défie un peu de tout philologue qui n’est pas doublé d’un poète. Le travail de ces terribles grammairiens me cause le même effroi que celui d’un entomologiste arrachant les ailes d’un papillon pour en analyser les écailles chatoyantes. Ils traitent comme une chose morte cette délicate fleur ailée qu’il ne faudrait toucher que du regard. Il est regrettable qu’il ne se soit pas trouvé en France de poètes assez érudits et patiens pour rendre à la poésie le service qu’ont rendu aux lettres allemandes Achim d’Arnim et Clément Brentano, lorsqu’ils ont rassemblé les chansons populaires de leur pays dans le recueil de l’Enfant au cor enchanté (des Knaben Wunderhorn). Dans ses pages sur l’Allemagne, Henri Heine proclame très haut l’influence considérable qu’a eue la publication de ce recueil sur l’esprit des poètes de son temps. « Je ne saurais trop, dit-il, louer ce livre; il renferme les fleurs les plus délicates de l’esprit allemand, et quiconque voudra connaître le peuple allemand sous un aspect aimable, que celui-là lise ce livre, il est ouvert devant moi en ce moment, et il me semble qu’il me parfume de l’odeur de nos tilleuls du nord... L’Enfant au cor merveilleux est un monument bien remarquable de notre littérature. Il a exercé une trop noble influence sur les lyriques de l’école romantique, particulièrement sur Uhland, pour le passer sous silence... »

Dans une étude très complète qu’il a faite sur le lied et la poésie populaire en Allemagne, M. Edouard Schuré démontre très bien à son tour quel profit ont tiré de l’étude des chansons populaires