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exécrables polissons revinrent. Ce fut encore Ferré, que Raoul Rigault mettait volontiers en avant, et qui, précisément à cause de sa taille minuscule, ne reculait devant rien, ce fut Ferré qui ouvrit le guichet de M. Bonjean et qui cria : « Eh bien ! mon vieux, comment trouves-tu le bouillon ? ; — Qui êtes-vous, vous qui me parlez ainsi ? — Nous sommes des gens fatigués parce que nous arrivons de Versailles ; nous avons flanqué Thiers dans la pièce d’eau des Suisses, et nous avons empalé le gros Picard ; ton tour viendra bientôt, ne t’impatiente pas. — Jeunes gens, répliqua M. Bonjean, laissez dormir un vieillard ! » L’employé des prisons, témoin oculaire qui nous a raconté cette scène, nous disait : « Les clés me tremblaient si fort dans la main que Raoul Rigault s’est tourné vers moi en me criant : — As-tu bientôt fini de jouer des castagnettes ? » Par un juste retour, Ferré devait plus tard avoir à supporter des avanies pareilles, et celles dont il fut coupable n’excusent en rien celles qu’on lui infligea. Arrêté, écroué transitoirement au dépôt, il écrivait le 11 juillet 1871 à M. Coré, rentré en possession de sa direction : « Je vous prierai de faire cesser la petite taquinerie dont je suis l’objet depuis mon arrivée dans votre maison ; à chaque instant on ouvre mon guichet, on me regarde comme si j’étais une bête féroce au Jardin des Plantes, et derrière ma porte j’entends constamment ces aimables exclamations : Canaille, scélérat ! on devrait bien le fusiller. » À cette heure, pensa-t-il à M. Bonjean et eut-il un regret ? Ce que l’on sait de sa nature permet d’en douter.


II. — LES ARRESTATIONS.

M. Bonjean ne devait pas longtemps rester seul en qualité de « grand otage, » ainsi que l’on disait alors ; le 4 avril, les portes du dépôt se refermèrent sur plusieurs membres du haut clergé de Paris : Mgr Darboy et son vicaire, Lagarde, qui n’avait jamais lu l’histoire de Régulus ; M. de Bengy, le père Clerc, l’abbé Allard, aumônier des ambulances, l’abbé Crozes, l’aumônier de la Roquette, le défenseur constant et entêté des condamnés, M. de Perny, un ; missionnaire qui n’a jamais vu chez les sauvages une sauvagerie analogue à celle de la commune, l’abbé Deguerry, le curé de la Madeleine, fort populaire à Paris, avec sa haute taille, ses longs cheveux ébouriffés et sa brusque démarche de colonel de carabiniers, le père Ducoudray, Viennent s’asseoir dans les étroites cellules et sont mis au secret rigoureux. Ce n’est pas assez : le lendemain, Mgr Surat, archidiacre de Paris, M. Moléon, curé de Saint-Séverin, sont réunis à eux. Jusqu’aux derniers jours de la commune, il en sera ainsi ; partout où l’on pourra saisir un séminariste, comme