Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçus en ovation par leurs compagnons de révolte, surtout Chouteau, qui, dans les bas-fonds du monde révolutionnaire et conspirateur, jouissait d’une certaine notoriété. Cette belle expédition, qui n’avait été que bruyante, une fois terminée, Lullier remonta à cheval, cria à sa troupe : « À notre état-major, place vendôme ! » et s’éloigna.

Le lendemain on apprit que le « général » Duval, ouvrier fondeur appartenant au groupe des blanquistes, était nommé délégué militaire à la préfecture de police, et que Jollivet, installé à la permanence avec le titre de commandant de place, contre-signerait la signature du « préfet. » Le 20, on eut à écrouer soixante-deux gardes républicains (ancienne garde de Paris, ancienne garde municipale), abandonnés le 18 sur les hauteurs de Montmartre et faits prisonniers. Le même jour, vers trois heures, M. Coré reçut une communication du commandant de place : « Ordre au chef du 162e bataillon d’envoyer immédiatement une compagnie prendre possession du dépôt, et de ne laisser entrer ni sortir qui que ce soit de cette maison sans un ordre signé par nous et revêtu de notre cachet. — JOLLIVET. » Muni de ce papier, un capitaine se présente suivi de cent vingt-cinq hommes. M. Coré refuse naturellement d’introduire cette bande, dont la présence au dépôt et le contact forcé avec les détenus auraient pu avoir les plus graves inconvéniens. Il se rend à la permanence afin d’en conférer avec le commandant Jollivet, qui est tellement ivre qu’il ne comprend rien de ce qu’on lui dit. M. Coré s’adresse alors directement au « général » Duval, qui demande à réfléchir, déclare que la mesure est grave, qu’il a besoin de s’entendre avec Jollivet et qu’il fera connaître sa décision. Une heure après, M. Coré est mandé au cabinet du préfet ; il n’y rencontre ni Jollivet ni Duval, et se trouve face à face avec Raoul Rigault, qui vient d’entrer en fonctions. M. Coré fit valoir ses raisons ; Rigault l’écouta attentivement et lui dit : — vous êtes destitué. — M. Coré riposta vertement que, nommé par arrêté ministériel, il ne pouvait être révoqué qu’en vertu d’un ordre émanant du ministre de l’intérieur. Rigault répondit : — Nous allons simplifier ces formalités. — Il écrivit quelques mots sur une feuille de papier, remit celle-ci à un homme placé près de lui, lequel appela deux fédérés de service à l’antichambre, escorta lui-même M. Coré jusqu’au dépôt et le fit écrouer au secret dans la cellule no 182. Le personnage qui venait d’emprisonner le directeur régulier était le nouveau directeur, Garreau, ouvrier serrurier, âgé de vingt-quatre ans, connaissant les prisons pour y avoir séjourné, un peu malgré lui, pendant quatre années. C’était un homme dur, menaçant, haineux et sobre, qui ne fut doux ni aux surveillans, ni