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libéral et un vieux patriote. Dans toutes les occasions, cette sève vivace reparaissait. Le libéral était d’instinct, de raison pour les institutions parlementaires, pour les garanties régulières, pour toutes les causes généreuses. Le patriote avait la fibre française. Pour lui, au-dessus des préférences personnelles, au-dessus des formes de gouvernement et des partis, il y avait la liberté et la France. « Pourvu que la grandeur et la liberté restent intactes, » écrivait-il en 1848, — et malheureusement ni la liberté ni la grandeur ne sont restées intactes !

Ce jour-là, François Buloz avait profondément, naïvement souffert ; il avait ressenti toutes les émotions des dernières épreuves de la France, de la lutte militaire, de la défaite, de la guerre civile. Dès le premier moment, il avait fait son devoir. Lorsque éclataient tout à coup le désastre de Sedan et la révolution du 4 septembre, il se trouvait en Savoie, déjà fatigué, menacé dans sa santé. Aussitôt qu’il apprenait la marche des armées ennemies sur Paris, il se rendait malgré tout et sans plus de retard à son poste. Il avait une responsabilité des plus graves, — il n’écoutait que le patriotisme. À ces heures extrêmes qui précédaient le siège, des conseillers sans doute bien intentionnés cherchaient à lui persuader de transporter la Revue hors de Paris, — Que ferait-on dans une ville assiégée ? La Revue allait être séparée de sa clientèle extérieure ! Beaucoup de collaborateurs seraient absens ! Ces raisons pouvaient avoir leur valeur. Buloz, quant à lui, n’hésitait pas, il tenait à ne pas quitter Paris. Il pensait d’abord que là où paraissait devoir se concentrer la défense nationale, là devait rester la Revue, quelque dure que dût être l’épreuve, si terribles que dussent être les difficultés.

Ces difficultés, on ne les prévoyait pas toutes assurément, on n’en pressentait pas encore la durée ; à les prévoir, on n’aurait jamais cru pouvoir les surmonter, et pourtant cinq mois durant la Revue les surmontait. Elle était, il est vrai, obligée de se restreindre, et même dans des conditions restreintes elle avait de singuliers embarras. N’importe, elle paraissait toujours, elle trouvait quelques écrivains dévoués et au premier rang M. Vitet, qui n’était pas le moins impétueux parmi nous. Elle ressentait, elle aussi, l’ardeur ou même, si l’on veut, la fièvre de la lutte, et comme d’autres, elle envoyait à travers les airs quelques numéros qui allaient prouver au dehors qu’elle n’avait pas cessé d’exister. Elle ne songeait guère en vérité à raisonner et à critiquer ; elle témoignait de sa fidélité et de son dévoûment à la cause commune en étant tout entière à la défense, en soutenant toujours ceux qui montraient le plus de fermeté et de résolution, et je me rappelle qu’après la crise un homme d’un esprit supérieur, d’une raison éminente, mais calme,