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vous que j’adresse le premier exemplaire de cette réimpression en témoignage de reconnaissance… » Ces princes retrouvaient par l’esprit à la Revue, selon le mot de M. Saint-René taillandier, la patrie qui leur était interdite. Lorsque Ampère, appelant le passé à son aide, décochait ses traits contre l’empire sous le voile de l’Histoire romaine à Rome, c’était certainement une des piqûres les plus désagréables au gouvernement. Buloz n’aurait pas toujours recherché ce genre de guerre, il acceptait les chances de la liberté de l’esprit.

Le gouvernement ne pouvait s’y tromper, il s’en irritait par instans et il était entouré d’amis empressés à l’exciter ou à exploiter sa mauvaise humeur. Il se défendait sans doute de la tentation d’aller jusqu’à un acte d’omnipotence violente, de frapper la Revue qui venait de servir patriotiquement la politique française dans la guerre de Crimée et dont la suppression ne lui aurait pas fait une bonne renommée en Europe ; mais il est bien certain qu’il aurait voulu la réduire ou l’intimider, éteindre en un mot ce qu’on appelait un foyer d’hostilités indirectes et d’opposition systématique. Tantôt il essayait, par des intermédiaires, d’acquérir la part de propriété de Buloz, et il s’agissait d’une somme bien autre que celle de 1846 ; il s’agissait au moins d’un million ! Buloz repoussait sans balancer ces offres renouvelées à plusieurs reprises. Il se sentait plus que jamais engagé d’honneur à ne pas se séparer de son œuvre. Tantôt le gouvernement employait d’autres moyens : il suscitait des concurrences, il multipliait les subventions, — subvention du ministère, subvention de l’empereur, — et on allait même jusqu’à tenter d’enlever à la Revue, par des promesses ou par des menaces, un certain nombre de collaborateurs, fonctionnaires, professeurs de l’université. C’était un moment où l’on parlait de créer une « littérature d’état, » et celui qui écrit ces lignes se permettait de rappeler dans la Chronique au gouvernement qu’avec cela on avait ce qui s’est appelé autrefois de ce nom ridicule de « littérature de l’empire. » Il se permettait aussi de demander ce qu’on reprochait aux rédacteurs de la Revue ; « ils aiment la liberté, disait-il, ils croient en elle : est-ce donc que la liberté est un nom proscrit ? ils croient à son efficacité et à son retour… Par-dessus tout ils tiennent comme au premier des biens à l’indépendance de l’esprit, et là est le lien de tant d’écrivains qui, sans abdiquer leurs opinions, se rencontrent sur le même terrain… Il resterait à savoir si c’est une grande habileté de vouloir persuader aux pouvoirs publics qu’ils ont un ennemi partout où il y a un homme debout, dans les académies, dans les chaires de Sorbonne aussi bien que dans les plus sérieuses publications. » C’était une réponse à toute une campagne de dénonciations et de menaces.

Quelquefois, il est vrai, le gouvernement ne s’en tenait pas là ; il