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à peine passés que déjà il avait pris son parti, acceptant les conditions laborieuses du lendemain d’une révolution, se remettant à l’œuvre avec une activité qu’enflammaient les circonstances, et, j’oserai presque dire, la nécessité. On le rendait tout entier à la Revue, il se consacrait à elle absolument, exclusivement, avec une passion retrempée dans l’épreuve universelle. Dès les mois de mars et d’avril, des hommes comme M. Michel Chevalier, Léon Faucher, étaient courageusement sur la brèche pour tenir tête au socialisme, qui déjà par ses propagandes orgueilleuses et ses excitations meurtrières préparait la sanglante bataille de juin. La Revue entrait vivement dans cette lutte qui s’inaugurait au milieu des révolutions éclatant partout à la fois en Italie, à Vienne, à Berlin, comme à Paris.

C’était une crise de plus de trois années pendant laquelle la Revue ne cessait de s’affermir et de s’étendre par des efforts habilement dirigés. Son rôle était simple sans laisser d’être difficile : sans regrets inutiles, sans antipathies, sans préventions contre la république nouvelle, elle n’avait d’autre objet que de servir avec indépendance la cause de la société en péril, ralliant les esprits littéraires dans ce grand désarroi, suivant cette politique que Buloz lui-même résumait dans une lettre qu’il m’écrivait au moment de l’élection présidentielle de 1848. La Revue n’avait pas cédé à la fascination du « grand nom ; » elle n’avait pas voulu soutenir la candidature napoléonienne. Elle ne soutenait pas non plus le général Cavaignac, elle aurait voulu que le parti modéré osât à tout risque avoir son candidat, et Buloz m’écrivait dès ce temps-là : « Ce que l’on repousse chez le général Cavaignac, c’est l’idée hautement affichée de vouloir fonder sa république, non la république de tous. Il nous faut au contraire un gouvernement large, impartial, qui nous rende les jours prospères et tranquilles que nous avons vus, n’importe sous quelle forme, pourvu que la grandeur et la liberté n’en souffrent pas et restent intactes. » vœu bien ambitieux, quoiqu’il semble si simple, et qui n’a point certes encore perdu son à-propos !

Il faut avoir vu Buloz au feu de l’action pour se faire une idée de la ténacité et de la variété de ses efforts pendant ces années d’agitation et de lutte. Il devait nécessairement songer à tout, à la vie morale comme à la vie matérielle de la Revue. La vie morale, c’était la rédaction incessamment accrue de tous ceux qui voulaient servir « la bonne cause, » la cause des notions justes, des principes ébranlés, des traditions de liberté modérée et de conservation prévoyante. C’est ce qu’on pourrait appeler la période conservatrice de la Revue. En même temps, Buloz se préoccupait d’une question qui a toujours été des plus graves pour le succès matériel tant qu’elle n’a pas été résolue ; il se mettait plus que jamais à combattre pied