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éteinte elle venait de publier un roman, elle allait se remettre encore à l’œuvre ; les rapports intimes de la jeunesse s’étaient rendues d’eux-mêmes. Sainte-Beuve, quelques années avant sa mort, se sentait de nouveau attiré, et il m’écrivait : « L’un des bénéfices de mon retour à la Revue, retour qui ne sera complet que lorsque je me trouverai un peu plus libre de mon entrave hebdomadaire, sera de nous y revoir tous quelquefois… C’est encore la Revue qui donne les brevets… » Buloz a gardé jusqu’au bout, dans la politique comme dans les lettres, les relations qui lui étaient les plus précieuses, qui l’honoraient ; preuve évidente de ce qu’il y avait de juste dans ce que Sainte-Beuve lui-même disait en 1845 : « Quand vous voyez un homme attaqué avec acharnement, avec furie, par toute sorte de gens, soyez bien sûr que cet homme a une valeur et qu’il y a là-dessous quelque bonne et forte qualité en jeu… »

Chose cependant étrange ! La Revue avait déjà parcouru une assez longue carrière, elle touchait à la quinzième année de son existence ; elle avait réuni les talens les plus brillans, elle avait rapidement conquis le crédit politique aussi bien que l’importance littéraire, et malgré tout, sa prospérité matérielle était encore loin de répondre à sa notoriété morale. Elle a eu une croissance régulière, ininterrompue, mais lente. La Revue avait commencé avec ses modestes 350 souscripteurs ; elle n’atteignait qu’en 1834 le chiffre de 1,000, elle touchait à 1,500 en 1838, elle ne doublait le cap des 2,000 qu’en 1843, et au commencement de 1846 elle ne dépassait pas encore 2,500 ! C’était peut-être beaucoup pour le temps ; en réalité, il n’y avait pas de quoi vivre, ou du moins l’on ne vivait qu’à force d’économie industrieuse. Ce n’était point une affaire. Buloz ne songeait guère alors à des gains opulens ; il se contentait d’un modique traitement personnel, et c’est même pour y suppléer que dès 1838 il avait désiré ou accepté, concurremment avec la direction de la Revue, les fonctions de commissaire du roi au théâtre-Français. Il en était là en 1845 lorsqu’en peu de temps survenaient deux circonstances qui ont eu une influence décisive sur les destinées d’une œuvre si laborieusement formée.

Jusqu’à ce moment, la Revue avait eu plusieurs phases successives d’organisation intérieure. M. Auffray, le premier associé de Buloz, avait promptement disparu. Un homme que tous nos contemporains ont connu, Alexandre Bixio, était entré dans une société nouvelle, et à son tour il n’avait fait que passer. Une troisième combinaison, formée vers 1834, avait donné à Buloz pour associés M. Florestan Bonnaire, notaire de Paris, et son frère Félix Bonnaire. Cette combinaison, qui avait eu pour effet de réunir dans la