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trop justifiée depuis, le gouvernement. Buloz avait vu surtout à cette époque M. Molé, avec qui il a eu longtemps des rapports empreints de sa part d’une sérieuse déférence. Il avait du respect pour l’homme et une intime considération pour ce politique de grande naissance et de grâce supérieure, aux manières graves et simples, à l’esprit juste et pratique. M. Molé a toujours été un de ceux que Buloz se plaisait à consulter dans les circonstances décisives. M. le comte de Montalivet était un autre de ces hommes qui lui avaient inspiré autant de confiance que d’attachement.

Au fond, celui de nos contemporains que Buloz aimait, je pourrais dire de cœur, c’est l’homme illustre auprès de qui il s’est si souvent retrouvé depuis quarante ans et à qui il devait témoigner une sincère, une invariable fidélité jusqu’au bout, dans les dernières, les douloureuses crises de la France, — c’est M. Thiers. Il n’a pas été le seul dans notre temps à subir le charme ; plus que tout autre peut-être, il s’est senti toujours attiré par cette lumineuse intelligence, par la séduction d’un esprit infatigable, d’une raison si naturelle et d’un patriotisme qui devait être soumis à de si cruelles épreuves. La Revue n’avait pas toujours suivi M. Thiers dans les temps anciens de 1839 ; elle avait combattu dans un autre camp pendant la coalition. Buloz revenait sans effort, par goût et par affection, vers lui dès le ministère de 1840. Un jour, durant ces mois de l’été de 1840 où une guerre d’Orient semblait près d’éclater, la Revue se trouvait avoir pour collaborateur extraordinaire le président du conseil lui-même, et ces rapports de confiance ne cessaient pas avec le ministère de 1840. Sans entrer dans une opposition active sous le ministère de M. Guizot, qui commençait alors (29 octobre 1840) et qui allait être la dernière étape de la monarchie de juillet, la Revue restait rapprochée de M. Thiers ; elle avait la collaboration de quelques-uns de : ses amis les plus brillans ou les plus actifs, M. de Rémusat, M. Cousin, M. Vivien, M. Duvergier de Hauranne.

Certainement, avec la préoccupation constante de son œuvre, Buloz aurait désiré que M. Thiers fît encore ce qu’il avait fait étant président du conseil ; il aurait, voulu obtenir quelque travail de politique ou d’histoire dont il aurait aimé à parer la Revue, M. Thiers n’était pas insensible à ce désir, car il avait pris de Buloz une opinion des plus sérieuses qu’il a toujours gardée. Il promettait, autant qu’il pouvait promettre dans une vie si occupée, et un jour de juillet 1841, étant à Lille, entre une course en Hollande et un voyage en Allemagne, où il allait étudier pour son histoire les champs de bataille de l’empire, il écrivait dans l’abandon de l’intimité cette lettre, dont on tirera, même aujourd’hui, la moralité qu’on voudra :