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raison, je le crois du moins ; mais je ne sais trop comment faire pour y remédier. Si je veux revoir cela moi-même, je n’y ferai rien qui vaille. Il faudrait que vous me trouvassiez quelqu’un qui eût à la fois assez de complaisance et assez de jugement pour s’en charger. Qui ? je n’en sais rien… Si je pouvais prier Sainte-Beuve de lire simplement le premier volume, je pourrais ensuite de moi-même faire les corrections sur ses avis. J’ai peur qu’il ne soit froid pour moi à cause des dernières circonstances (au sujet de Mme Sand). Que le diable m’emporte si je lui en veux ! .. Faites-moi donc le plaisir de penser un peu comment venir à bout de cela… C’est très important ; mais je suis si bête que je ne puis me corriger moi-même. Dites-moi un peu comment faire… »

Ce que je veux dire, c’est que François Buloz portait dans ses relations ce goût vif du talent qui faisait de lui l’ami, souvent le conseiller utile de ses collaborateurs. Il était dans son rôle en aimant le talent, en le recherchant, et il n’avait nullement à coup sûr l’esprit exclusif qu’on lui a si souvent prêté ; il n’avait point cette étrange idée de faire de la Revue une sorte de citadelle inaccessible ou fermée à tous ceux qui n’auraient pas le mot d’ordre. C’est précisément le contraire qui est vrai. Il n’y avait pas d’homme moins exclusif que lui. Toutes les tentatives sérieuses avaient la chance de trouver auprès de lui un accueil hospitalier. Il y a eu toujours sans doute des hommes à qui leur illustration ou leur notoriété a naturellement ouvert toutes les portes. Les autres n’ont jamais été exclus ou évincés parce qu’ils n’étaient pas encore assez connus. Qu’était Eugène Forcade lorsqu’il a commencé en 1844 ? Qu’était Emile Montégut lorsqu’il publiait en 1847 son premier article sur Emerson ? C’était un jeune et simple étudiant. Buloz ne connaissait ni l’un ni l’autre la veille ; le lendemain, il les excitait au travail, il leur faisait la place due à de jeunes esprits pleins de promesses. Je pourrais citer d’autres écrivains tout aussi inconnus alors, qui sont devenus depuis des collaborateurs assidus, et dont l’entrée à la Revue n’a pas coûté dix paroles. Qu’on ouvre cette table qui a été publiée il y a deux ans, et qui résume tout un passé, toute une histoire : il y a là quelque chose comme sept cents noms et plus ! Ceux qui ont une signification, et ils sont à toutes les pages, représentent les nuances les plus diverses d’opinions et de talens. Presque tous les noms du monde contemporain sont présens à ce défilé : poètes, conteurs, publicistes, diplomates, ministres de la veille ou du lendemain, maréchaux, princes : il y a même une souveraine étrangère, à l’esprit cultivé autant que sympathique à la France.

C’est assurément le contraire d’un système d’exclusion, et quant à ce despotisme dont on s’est plu quelquefois à évoquer le fantôme,