Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ardent, intense, qui a été l’âme, le ressort énergique d’une direction appliquée à tout, incessamment préoccupée des mille détails d’exécution aussi bien que de la considération morale et de la propagation extérieure de la Revue. Avec la passion qui l’animait, il tenait essentiellement pour la Revue à une exécution soignée ; il y mettait une attention extrême, et en cela il était servi par la connaissance profonde qu’il avait de la typographie. L’imprimerie trouvait en lui un guide et un maître souvent difficile, à qui rien n’échappait. Corriger des épreuves, cela semble peu de chose ; pour lui, c’était une condition de succès, c’était un art, et j’oserai dire que pour les écrivains eux-mêmes il n’y avait pas de garantie plus sérieuse que cette révision patiente, obstinée, à laquelle il se livrait. Il s’inquiétait de tout, du caractère, de la netteté de l’impression, de la disposition d’un titre, de la ponctuation, de ces mille détails qui semblent n’être rien et qui font une exécution supérieure. Il ne publiait pas un travail qu’il ne l’eût revu ainsi et corrigé au moins deux fois. Il lisait tout et il gardait note de tout dans son esprit, au point de pouvoir se souvenir dix ans après de ce qui avait paru dans la Revue, Il ne ménageait pas son temps ; souvent il passait une demi-journée sur quelques pages, il était malheureux s’il laissait échapper quelque faute, et lorsqu’avec les années il sentait sa vue s’affaiblir, lorsqu’il éprouvait plus de difficulté à lire, il se désespérait, il luttait avec lui-même. Il se plaignait naïvement de trouver les impressions moins bonnes ou les papiers plus mauvais, et il finissait par reconnaître, non sans tristesse, que c’était lui qui vieillissait. « Je ne puis plus lire, c’est mon chagrin, » écrivait-il ; mais quarante années durant il a été le lecteur le plus intrépide, le plus sérieux, il avait la religion de son état.

Bien entendu, il ne lisait pas seulement en typographe, il lisait en homme qui tenait à la bonne renommée littéraire et politique de la Revue encore plus qu’à la correction matérielle, qui jugeait ce qu’il lisait. Il avait son droit de directeur et il l’exerçait avec une faculté naturelle de critique qui n’était qu’à lui, avec une conscience aussi scrupuleuse qu’indépendante. Il ne faut pas croire qu’il cédât à des fantaisies : il lisait avec une sincérité complète et avec autant de soin que de sincérité. Il avait un mot caractéristique pour définir son rôle, il disait : « Je suis le public, je ne demande pas mieux que d’être instruit ou intéressé ; si un travail ne m’intéresse pas ou ne m’instruit pas, il y a des chances pour qu’il ne produise pas un meilleur effet sur les autres, sur le vrai public à qui il est destiné : il faut voir ! » Plus d’une fois on s’est plu à parler de ses minuties, de ses exigences, de ce qu’on appelait ses manies de correcteur. On ne sait pas toutes les circonstances où il a donné un conseil utile,