Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt cependant, à côté de ces aînés des générations nouvelles, à défaut de ceux qui disparaissent, qui se fatiguent ou se dispersent, les nouveau-venus commencent à se presser. C’est comme un second ban littéraire qui entre en scène : la tradition ne s’interrompt pas ! Aux romanciers, aux poètes de la première heure, succèdent déjà ou vont succéder des romanciers nouveaux : Jules Sandeau, avec ses récits d’une séduisante délicatesse, Mme Charles Reybaud, et, avant qu’il soit longtemps, Octave Feuillet, Paul de Molènes, Henry Murger, puis Cherbuliez, ceux qui sont venus plus tard. Les publicistes, les savans, les philosophes et les critiques des commencemens ont, eux aussi, des successeurs ou des émules : Émile Saisset, le pénétrant et ferme penseur, M. Jules Simon, le philosophe d’autrefois, le président du conseil d’hier, Eugène Forcade, notre infortuné Forcade, promis à une si cruelle fin, Alexandre Thomas, un autre naufragé, — Émile Montégut, M. Saint-René Taillandier, M. H. Desprez, qui est aujourd’hui un directeur expérimenté aux affaires étrangères, Henri Blaze de Bury, le poétique historien de Goethe, le brillant critique de l’art musical. Plus d’un nom pourrait dès lors se joindre à ceux-ci en attendant M. Claude Bernard, M. Renan, M. Caro, M. Janet, Beulé, M. Vacherot. Par le fait, la Revue, à mesure qu’elle se développe, devient comme une œuvre de tout le monde ; elle trouve des collaborateurs un peu partout, dans les académies, dans l’université, dans la société, dans le parlement, dans l’armée et les hautes fonctions, parmi les voyageurs qui savent se souvenir. De plus en plus aussi elle embrasse, avec l’imagination et les arts, l’étude des pays étrangers et de leurs révolutions, les affaires de diplomatie, les questions d’économie sociale. Elle s’alimente de tout, et c’est ainsi qu’elle se fait une constitution assez robuste pour défier les crises, augmentant ses forces par la durée, devenant tour à tour, sans changer de rôle, un foyer de défense publique dans les révolutions de 1848, un asile de libéralisme sous l’empire, liant entre elles plusieurs générations et reflétant dans sa carrière encyclopédique la vie, le mouvement d’un demi-siècle. Comment s’est réalisée cette fortune d’une œuvre créée de rien, progressivement étendue et consolidée ? Elle n’a été possible que par la sûreté de la pensée première et par la puissance d’une activité de tous les instans incessamment tendue vers le but.

La vérité est que François Buloz était né avec le génie de ce qu’il entreprenait, génie mêlé d’exactitude, d’âpreté au travail, de sagacité pratique et de dévoûment absolu. Il a réussi surtout parce qu’il a eu d’abord la foi, la passion de la Revue, une passion qui ne s’est jamais attiédie ni fatiguée, que les obstacles, les luttes inévitables