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Bientôt il dut résigner ses fonctions ecclésiastiques pour se vouer tout entier à la cause de la réforme sociale. L’influence des événemens qui se déroulaient en France contribua forcément à son succès ; il fut élu syndic en 1794, s’efforça, sans y réussir toujours, de prévenir les excès de la terreur genevoise qui eut, elle aussi, ses heures néfastes, et enfin en 1798 il se trouva dans la douloureuse nécessité d’apposer son nom au traité de réunion à la France, acte arbitraire, à peine aperçu dans ces temps agités, et qui, comme tous les actes de ce genre, n’a pas porté bonheur au pays annexant. Gasc rentra dès lors dans la vie privée, d’où il fut tiré en 1809 par le décret impérial qui le nommait professeur à Montauban.

De nouvelles luttes l’y attendaient. Gasc avait apporté dans la chaire montalbanaise les doctrines quelque peu sociniennes, surtout au chapitre de la Trinité, qui depuis plus d’un demi-siècle avaient trouvé faveur dans l’école théologique de Genève et qui, dans le temps, avaient donné lieu au célèbre débat avec D’Alembert. Des réclamations violentes ne tardèrent pas à s’élever de divers côtés. Les pasteurs de Nîmes, de cette église aujourd’hui si libérale, se distinguèrent par leur zèle orthodoxe. Gasc tint tête à l’orage avec autant de modération que de fermeté, et l’affaire se termina par un compromis qui pouvait passer pour une victoire du professeur menacé de destitution, car il gardait sa chaire et la liberté de ses idées. Cependant il est clair que la querelle, un moment assoupie, n’aurait pas tardé à se rallumer; mais peu de temps après, le 28 octobre 1813, Gasc succomba à une attaque d’apoplexie.

En fait, cet homme n’est pas parti sans avoir tracé son sillon sur sa route. Il a fortement contribué à faire triompher dans son pays natal les principes d’une démocratie largement appliquée, et qui, favorisée par bien des circonstances de l’ordre politique et moral, a permis à Genève d’atteindre la position brillante et prospère dont elle se glorifie à juste titre. Il a été l’un des premiers parmi les protestans de langue française à élargir les cadres étroits de la théologie calviniste. Son biographe a raconté avec un soin scrupuleux cette existence à la fois modeste et féconde. On ne peut trop louer la peine que M. Dardier a prise pour retrouver, tant à Genève qu’en France, tous les documens, les uns imprimés, les autres écrits, tous disséminés, qui pouvaient l’éclairer. Son récit, bien que très détaillé et toujours appuyé de notes nombreuses, demeure attachant d’un bout à l’autre.


ALBERT REVILLE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ,