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« Ceux qui réussissent ont toujours raison ; ceux qui n’arrivent pas, toujours tort ; » tâche que la première partie d’icelui soit vraie pour toi ! »

Rien n’est plus explicite que cette confession. Ce fantoche, fatigué de faire rire, voulut faire peur ; se sachant grotesque, il rêva d’être terrible, et le fut. Il y eut des aliénés parmi ses proches, et on peut admettre, pour l’honneur de l’espèce humaine, qu’il n’était pas sain d’esprit. Son père, ancien cocher de bonne maison, retiré avec le fruit de ses économies, l’avait fait élever chez les frères de la doctrine chrétienne, et ensuite chez un sieur L…, dont la pension fut fermée à cause de l’enseignement ultra-matérialiste que l’on y distribuait. Ses « études » terminées. Th. Ferré entra comme clerc ou employé comptable chez un agent d’affaires. C’est là que la commune le trouva : elle en fit sa bête féroce. Il avait déjà une certaine notoriété parmi les révolutionnaires. Lors de la manifestation Baudin, au cimetière Montmartre, il s’était juché sur une tombe et avait crié : « La convention aux Tuileries ! La raison à Notre-Dame ! » Le 6 janvier 1869, à une réunion au cabaret du Vieux-Chêne, rue Mouffetard, il avait dit : « La bourgeoisie vit des sueurs du peuple… La force, qui nous opprime aujourd’hui, nous pourrons l’avoir un jour, et nous l’écraserons ! » C’étaient là des titres sérieux ; il les fit valoir, et, dès le mois d’octobre 1870, il est à la tête du comité de vigilance, qui siège rue Clignancourt, no 41. Il eut grand soin du reste de ne point exposer sa chétive personne pendant la guerre, et n’alla pas au feu une seule fois. Il fut élu membre de la commune et attaché, le 30 mars, à la commission de sûreté générale ; c’est en cette qualité que le 28 avril il demandait l’exécution immédiate des otages, simplement pour « affirmer les principes. » Le 5 mai, Raoul Rigault le rapproche de lui, sous le titre de substitut de procureur de la commune ; enfin, lorsque le fort d’Issy est occupé par nos troupes, que l’on se prépare à une résistance qui ne fera qu’augmenter la défaite, que l’on médite des cruautés sans exemple. Th. Ferré est délégué à la sûreté générale, autrement dit, il est élevé à la fonction d’exécuteur des hautes œuvres de la commune. — On sait s’il fut fidèle à son mandat. Aux dernières heures de la bataille, lorsque, seul, Belleville tenait encore. Ferré coupa lestement sa barbe, mit son petit corps en jupes, s’accrocha un chignon — réquisitionné — derrière la tête, et s’esquiva. Il fut arrêté dans la nuit du 9 au 10 juillet 1871, rue Saint-Sauveur, no 6, dans un appartement qu’il partageait avec un ouvrier tapissier qui était son frère. Il fut hautain et railleur pendant son procès ; quoiqu’il eût assuré qu’il ne se défendrait pas, il rétorqua avec habileté des dépositions erronées sur le rôle qu’il avait joué à la Grande-Roquette dans la journée du 27 mai et accepta la responsabilité