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Cependant sur le haut de l’olympe on riait;
Les Immortels, sereins sur le monde inquiet,
Resplendissaient debout dans un brouillard de gloire.


Cet acte est l’effet de lumière; ici le ballet prime le drame, et le chorégraphe force la main au musicien, qui par la seule magie du rhythme va se racheter. On a beau prêcher la souveraineté des masses instrumentales, conspuer la mélodie, la guitare, il faut autre chose que des dissonances et des convulsions d’orchestre pour mettre en mouvement une phalange de danseuses. Patuit dea, le rhythme se montre et triomphe. Il semble qu’à la coupe enchantée s’apaise à l’instant cette soif de symétrie qui vous consume; jamais la célèbre image du cerf altéré de l’Écriture ne s’offrit à l’esprit plus naturellement. Le motif vaut ce qu’il vaut, peu importe ; c’est une valse qui pourrait figurer dans Coppélia, ou bien encore un fragment en mineur sans note sensible, ce qui suffit, nul ne l’ignore, pour établir l’orientalisme d’une mélodie. On nous raconte que celle-ci vient du pays des éléphans et des bayadères, on m’affirmerait qu’elle vient de Bougival que je n’y contredirais pas davantage, la formule étant des plus connues, et ces sortes d’airs nationaux pouvant partout se fabriquer sur commande. Je dois cependant louer l’entrain brillant de cette mise en œuvre. Quel don merveilleux de la sonorité, comme toutes ces arabesques s’enroulent et se déroulent avec souplesse, élégance et vigueur! Notons dans le second pas du divertissement l’emploi si curieux, si amusant du saxophone avec sourdine. Même en combattant cet art, en l’attaquant dans ses tendances antimélodiques, antivocales, il est impossible de ne pas admirer ce qu’il ajoute de pittoresque et de charmant à la figuration d’un opéra. Ces irradiations vibrantes, ces flots de résonnances teintés de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et se succédant à l’infini, vous donnent par instant l’illusion de jets de lumière électrique qui jailliraient des sources vives de l’orchestre.

Grenade a l’Alhambra, mais le quatrième acte du Roi de Lahore a son adagio en ré bémol. Si vous voulez voir quelle bonne et simple personne est la mélodie et comment elle se venge de ses pires blasphémateurs, allez entendre cette phrase chantée par M. Lassalle; l’invention est peu de chose, mais ce cantabile suave, ému, ce spianato à l’italienne chaleureux, attendri, mélodique surtout, s’impose à l’auditoire, qui, chaque soir, après l’avoir écouté avec ravissement, demande qu’on le lui répète. Ici, une simple question : tout ce pathétique convient-il le moins du monde au caractère du farouche Scindia, et n’est-ce point là ce que Shakspeare appelle du caviar pour le peuple? Je livre l’objection aux gens d’école, qui se débrouilleront entre eux comme ils pourront. En effet, aucun de ces personnages n’a d’existence qui lui soit propre, nul n’a l’air de croire « que c’est arrivé ; » vous les entendez se passer