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Ici ses observations sont moins concises. La société, à l’en croire, est moins gaie, et elle étale plus de luxe qu’en 1836. Ce grave voyageur ne dédaigne pas de critiquer l’ampleur des toilettes féminines qui sont, dit-il, un embarras réel dans les salons. Il remarque avec plaisir que l’attitude du clergé est plus grave, qu’on entend raconter moins d’histoires scandaleuses. Jadis les cardinaux se montraient dans les soirées, même dans les bals; il n’était pas rare d’en voir quatre réunis autour d’une table de jeu. Le pape a désapprouvé cette conduite. Le souverain pontife est détesté de son peuple, ce qui est surtout la faute de ses ministres; en revanche, son caractère impose le respect, la pureté de ses mœurs inspire une meilleure tenue à tous les ecclésiastiques. Ticknor résume d’ailleurs son opinion sur la question romaine, ou plutôt sur la politique européenne, avec la verve qu’il apportait autrefois dans ces tableaux :

« Le cardinal Antonelli, à qui j’ai fait visite au Vatican et que l’on rencontre dans tous les salons, m’a frappé. C’est un homme accompli, d’un abord séduisant, sauf qu’il a plus l’air du monde que celui de l’église. Il a toujours été agréable pour moi; il l’est, je pense, pour chacun dans les relations habituelles. Il est à lui seul tout le gouvernement. Le pape s’occupe avec zèle et dévoûment des affaires spirituelles; le cardinal Antonelli fait tout le reste.

« Il serait difficile que le gouvernement romain marchât sans avoir à sa tête un homme vigoureux et capable, tel que le cardinal Antonelli. Les finances sont embarrassées, on ne peut supprimer aucune dépense; les employés ne sont pas toujours payés : les charges augmentent sans cesse, bien qu’on le dissimule autant que possible. Les troupes françaises sont un lourd fardeau; cependant aucune personne raisonnable ne demanderait à les faite partir, car elles sont indispensables au maintien de l’ordre. Le gouvernement est donc dirigé de la façon la plus hardie, comme si tout était calme; autrement, tout s’arrêterait. La question est de savoir combien de temps cela durera. Dans les circonstances ordinaires, ce serait déjà fini; mais il y a tant de pays en Europe en pareille situation, ou dans une situation presque aussi mauvaise, il y règne une décadence morale si étendue, il y a tant besoin de vigueur et de répression militaire que le joug est le sort commun, nécessaire, pour empêcher que tout ne s’écroule dans la même convulsion. Quelle est la condition de l’Espagne et de l’Autriche, toutes deux en faillite? Dans quel état est la France avec ses vastes ressources et son énergie sans emploi, livrée aux spéculations financières les plus extravagantes dont on ait entendu parler depuis les jours de Law? Il me semble en vérité que la question financière est la première à résoudre, et que la solution adoptée remuera l’Europe plus qu’on ne s’y attend. Il n’y a pas de gouvernement qui ne s’endette chaque