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signé par un obscur secrétaire du gouvernement fédéral, pour l’un de ceux qui sont dans le même casier au bureau de police de Dresde signés des autorités de France, d’Angleterre ou de Russie. »

Ceci n’est qu’un aperçu. La lettre suivante, adressée à Lyell, nous permet de pénétrer plus avant dans la pensée de Ticknor. On serait tenté de croire, par ce qui précède, qu’il accepte l’esclavage comme un mal nécessaire. Ce qui suit, daté de décembre 1843, fait voir qu’il en a vraiment honte, qu’il en souhaite ardemment la fin :

« Je déteste m’occuper de cette question de l’esclavage, tant elle m’est odieuse sous tous les rapports, tant j’y vois de périls pour notre avenir. Cependant il y a quelques aperçus consolans que je vais vous exposer. La dernière discussion importante sur ce sujet eut lieu en 1831-32 dans la législature de Virginie. Par le ton du débat, chacun croyait à l’émancipation prochaine dans la Virginie, le Maryland et le Kentucky; dans les états du nord, tout le monde s’en réjouissait. Nous espérions au moins que quelque mesure nouvelle contrebalancerait le mal causé par l’extension de l’esclavage au Missouri en 1820. Nous fûmes désappointés. Le parti politique des abolitionistes se montrait déjà. Le sud s’en alarma. Au lieu de regarder la servitude comme un fléau politique et moral, ce qui était admis même par les possesseurs d’esclaves, ce qui avait été proclamé par les débats du parlement de Virginie, la majorité des hommes d’état du sud soutinrent que c’était une institution bonne en elle-même, acceptable avec toutes ses conséquences.

« Nous autres, gens du nord, nous soutenions que les auteurs de la constitution de 1788 n’avaient admis l’esclavage que comme une calamité temporaire qui devait disparaître aussitôt que possible. Washington, Jefferson, tous deux possesseurs d’esclaves, l’avaient dit, l’avaient écrit. Tout le monde le pensait. Toutefois n’oublions pas que cette même constitution est un marché conclu entre le nord et le sud, et que d’après ce marché le sud doit se débarrasser de ce fléau à l’époque et par les moyens qu’il jugera opportuns, la nation entière ne se réservant que le droit d’abolir la traite, ce qui fut fait promptement. Nous nous engageâmes en outre à rendre les esclaves fugitifs; cela se fit d’abord de bon cœur, on s’y refuse maintenant ou on ne le fait qu’à regret. Le vice de cette institution est si profond, si fatal, qu’il n’en sort que du mal, de quelque côté qu’on se tourne.

« Que faire, donc? Je réponds : attendre. D’abord parce que le travail servile ne peut soutenir à la longue la concurrence du travail libre, et que les esclaves finiront par devenir une propriété sans valeur. Il faut encore attendre parce que nous n’y pouvons rien, le pouvoir législatif lui-même serait impuissant. Cette affaire concerne 2 millions et demi d’êtres vivans, tous égaux dans la servitude.