Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il revint à la vie privée et se contenta de pérorer dans les cabarets, au lieu de se joindre à nos débris d’armée qui luttaient contre l’ennemi aux avant-postes. Il était officier d’artillerie, comme tous les révolutionnaires, dont le rêve est d’avoir des canons pour faciliter l’application de leurs théories ; lorsqu’on lui reprochait son inaction, il répondait négligemment : « Je suis artilleur en chambre. » Ce n’est pas que cet homme fût lâche, il sut bien mourir, mais, ainsi que tous ses congénères, il se réservait pour le grand jour des revendications sociales, c’est-à-dire pour le jour où il pourrait s’emparer du pouvoir.

Pour lui, comme pour tant d’autres, ce jour vint le 18 mars. Duval, s’étant saisi de la préfecture de police, entièrement abandonnée, par ordre supérieur, de tous les employés et de tous les agens, en était naturellement le commandant militaire ; Raoul Rigault lui fut adjoint comme délégué civil, dès le 27 mars, par le comité central. Il n’avait pas attendu sa nomination officielle, et il s’était de sa propre autorité installé le 20. Le 28, il est élu membre de la commune, dans le VIIIe arrondissement, par 2,175 voix sur 17,825 électeurs inscrits ; le 30, il est nommé membre de la sûreté générale ; le 25 avril il donne sa démission de délégué à la préfecture de police, à la suite d’une scène assez vive au conseil de la commune. On lui reprochait les nombreuses et arbitraires arrestations qu’il faisait opérer ; Vésinier, Pillot, Rastoul, proposaient l’adoption de la motion suivante : « La commune décrète, au nom du droit et de l’humanité, l’abolition du secret. » Raoul Rigault combattit le projet ; on lui dit : « Le secret est immoral ; » il répondit : « Qu’est-ce que cela me fait, si j’en ai besoin ? La guerre aussi est immorale, et cependant nous la faisons. » Il se retira, mais, ressuscitant pour lui une des fonctions les plus coupables de la révolution française, il se fit nommer procureur de la commune, le 27 avril, et devint de la sorte le chef hiérarchique de son remplaçant, qui fut un ivrogne nommé Cournet, aimant la bonne chère et ayant rendu quelques services aux détenus, moyennant bonne rémunération. Raoul Rigault, après avoir quitté les appartemens de l’ancien préfet de police, s’installa au Palais de Justice, au parquet du procureur général près la cour de cassation, toujours vêtu en commandant des fédérés, et d’une tenue un peu plus soignée depuis qu’il était « le maître. » Dans certains cas, il dirigeait lui-même les recherches qu’il avait prescrites ; sur dix-sept perquisitions qui furent faites, pendant la commune, au domicile de M. Zangiacomi, il en présida trois lui-même.

Les hommes de la commune qui ont traversé la préfecture de police ne se distinguaient ni par la sobriété, ni par la tempérance. Le général Duval, Raoul Rigault, Cournet, mangeaient copieusement,