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effrayée dans les bras de la Russie, son ancienne ennemie, qui a pris habilement le rôle d’alliée, abandonné par l’Angleterre, et dont l’influence depuis lors domine exclusivement à Téhéran. Les écrivains anglais sont unanimes aujourd’hui à recommander à leur gouvernement l’alliance de la Perse : il faut encourager ce pays à faire valoir ses droits et à rétablir son autorité dans la vallée de l’Attrek, sur les Turcomans Tekkès et sur Merv; comme si ces droits avaient plus de valeur que ceux que l’Angleterre a refusé de reconnaître quand il s’est agi de Hérat. L’Angleterre n’a rien à offrir à la Perse pour la détacher de l’alliance russe. La Russie au contraire peut promettre à la Perse Hérat en cas de guerre avec l’Angleterre, et en cas de guerre avec la Turquie la province de Bagdad, c’est-à-dire la vallée de l’Euphrate, ou la province arménienne de Meshed-el-Ali, dont la capitale renferme le tombeau d’Ali, objet de la vénération de tous les Persans. Ces deux provinces ont fait l’objet de toutes les guerres entre la Turquie et la Perse, et à satisfaire les convoitises de sa vassale la Russie gagnerait de s’ouvrir la route de l’Inde par le Golfe-Persique.

Quelles mesures défensives l’Angleterre peut-elle prendre pour conjurer les dangers qui la menacent? Indépendamment d’une alliance étroite avec la Perse, le colonel Baker, dans son mémoire, recommandait au gouvernement anglais de s’assurer les sympathies des tribus turcomanes en leur achetant tous les chevaux nécessaires à l’armée de l’Inde. Ces tribus seraient amenées à reconnaître la suzeraineté de l’Afghanistan, et quelques bons instructeurs transformeraient les Turcomans en une excellente cavalerie qui couperait les communications et intercepterait tous les convois d’une armée d’invasion. Des résidens anglais, établis à Caboul, Condahar et Hérat, surveilleraient la politique de l’Afghanistan, qui serait rattaché à la cause de l’Angleterre par la création de chemins de fer et le développement de son commerce. Les dépôts de l’armée russe, à Samarcande, étant plus rapprochés de Hérat que les Anglais ne le sont à Shikarpour, l’Angleterre devrait user du droit que lui donnent ses traités avec l’Afghanistan et occuper fortement Quettah, en avant de la passe de Bolan, afin d’être certaine de devancer à Hérat toute force ennemie, qu’elle vînt de la Perse ou du Turkestan. Le colonel Baker réclamait enfin une réorganisation complète de l’armée de l’Inde, et une augmentation considérable de l’artillerie de cette armée.

Le gouvernement anglais a déjà commencé à agir. Il ne considère plus que l’annexion du Scinde et la possession des bouches de l’Indus aient suffisamment garanti l’Inde des dangers d’une invasion par la côte du Golfe-Persique. Les chefs de toutes les tribus du