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du niveau de la mer, à laquelle on n’arrive qu’en gravissant une longue suite de glaciers, et qu’une poignée d’hommes résolus défendrait contre les forces les plus nombreuses.

Les Anglais n’ont pas non plus sujet de redouter sérieusement qu’une armée russe, après avoir remonté l’Oxus jusqu’à sa sortie des gorges du Badakshan, s’engage dans un pâté de montagnes, coupé de vallées profondes, pour atteindre Caboul et gagner ensuite la passe de Khyber et entrer par là dans le Pendjab. Ils ont fait eux-mêmes l’expérience de ce qu’il peut en coûter à une armée pour prendre une pareille route ; encore les difficultés du terrain sont-elles moindres entre Caboul et Peshawer qu’entre Caboul et Balkh. Les caravanes mettent treize jours de Boukhara à Balkh, treize jours de Balkh à Caboul, et douze jours de Caboul à Peshawer. Elles peuvent aller en vingt jours de Boukhara à Caboul, en laissant Balkh de côté et en passant par Khoultn; mais cette dernière route serait absolument impraticable pour les voitures et l’artillerie. Restent donc les deux routes par lesquelles ont passé tous les conquérans de l’Inde depuis Alexandre le Grand : celle qui conduit par Hérat et la passe de Bolan au cœur de la vallée de l’Indus, et celle qui longe les côtes du Golfe-Persique jusqu’à l’embouchure du même fleuve.

La sécurité dont les politiques de l’école de Manchester font profession à l’égard des projets de la Russie pouvait s’expliquer lorsque la Russie, pour attaquer l’Inde, devait faire franchir à une armée les steppes qui séparent Orenbourg de la mer d’Aral, ou faire passer cette armée par la Sibérie et lui faire traverser ensuite le Turkestan pour arriver à l’Oxus. Les difficultés qui ont failli faire échouer l’expédition contre Khiva seraient insurmontables pour une armée un peu nombreuse : l’Asie tout entière ne fournirait pas assez de chameaux pour préserver cette armée de la soif dans la traversée du désert. On soutenait avec quelque fondement que les préparatifs d’une expédition contre l’Inde exigeraient tant de temps et tant d’efforts que l’Angleterre aurait tout le loisir de se mettre en état de défense. Les choses ont singulièrement changé depuis que la Russie a créé des établissemens importans sur la côte orientale de la mer Caspienne, entrepris de soumettre à ses lois les Turcomans Takkès, et projeté l’occupation de Merv, dont Alayar-Khan expliquait si bien l’importance au colonel Baker.

Pour transporter une armée de Moscou à la mer Caspienne, la Russie peut se servir à la fois du chemin de fer et des bateaux à vapeur du Volga. La flotte de la mer Caspienne transporterait en quelques jours cette armée et son matériel, soit à Krasnovodsk, dotée d’un port admirable par son étendue, sa profondeur et sa sûreté, soit à l’embouchure même de l’Attrek au port de Chikislar.