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limites de l’Afghanistan. A moins d’un nouvel arrangement, la Russie a parfaitement le droit, en cas de troubles sur les rives de l’Oxus, de franchir le fleuve et de châtier les troupes et les provinces de Shir-Ali. »

Pour comprendre la portée de cette déclaration, il faut savoir que la Russie tient en réserve à Samarcande un prince afghan, le neveu et l’ancien concurrent de Shir-Ali, Abdurrhaman, qui lui a disputé pendant cinq années la souveraineté de l’Afghanistan, et qui avait réussi, en 186(5, à le chasser de Caboul. L’appui de l’Angleterre sauva seul Shir-Ali en détachant de son rival un certain nombre de chefs afghans. Vaincu définitivement en 1869, Abdurrhaman se réfugia d’abord à Meshed, en Perse, puis il se rendit à Samarcande, où les Russes lui ont permis de séjourner et lui font une pension de 25,000 roubles. Abdurrhaman a dit à M. Schuyler qu’il lui suffirait d’obtenir de la Russie quelques canons et 100,000 roubles pour opérer une révolution à Caboul, où il se flatte d’avoir conservé tous ses partisans, renverser Shir-Ali et tourner toutes les tribus afghanes contre l’Angleterre, en faisant appel à leurs passions religieuses. (]n autre neveu de Shir-Ali, Iskander-Khan, avait également cherché un refuge dans les possessions russes. Celui-là fut envoyé à Saint-Pétersbourg, où il reçut un brevet de lieutenant-colonel dans les hussards de la garde. De son côté, l’Angleterre trouverait aisément, en cas de besoin, un prétendant pour chacun des khanats turcomans.

Les deux gouvernemens sont demeurés depuis 1873 dans un état de suspicion mutuelle, évitant soigneusement de se donner l’un à l’autre aucun grief. Aux demandes de secours et aux propositions d’alliances des khans de Khiva et de Boukhara, l’Angleterre a répondu par le conseil de vivre en bonne intelligence avec la Russie. Le gouverneur-général du Turkestan n’écrit jamais à l’émir de Caboul sans joindre à ses lettres une traduction en anglais, marquant ainsi sa conviction que toute sa correspondance est communiquée aux autorités de Calcutta. L’année dernière, un officier anglais, le capitaine Burnaby, qui parle les largues de l’Orient, avait obtenu du ministère de la guerre de Russie un passeport pour le Tuikestan; il lui avait seulement été recommandé de ne pas sortir du cercle des possessions russes, et cette recommandation était motivée sur l’impossibilité de le protéger en dehors des localités soumises à l’action directe de la Russie. Cédant à une irrésistible curiosité, le capitaine Burnahy se déroba à la surveillance dont il était l’objet et gagna Khiva à cheval. Les autorités russes ne cachèrent pas leur mauvaise humeur, et comme l’incartade du capitaine Burnaby coïncidait avec le réveil de la question d’Orient, le cabinet de Londres, averti par son ambassadeur, envoya par le télégraphe au capitaine