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d’intérêt, et cinq éditions en ont été épuisées en quelques mois. M. Schuyler appréhende que l’Asie centrale ne soit longtemps encore une lourde charge pour les finances déjà obérées de la Russie. Le budget du Turkestan s’est toujours soldé en déficit, et l’écart entre les recettes et les dépenses s’accroît en proportion de l’augmentation des forces militaires. On ne peut attendre un revenu considérable d’une population de 2 millions 1/2 d’âmes dont une notable partie est vouée à la vie pastorale. M. Schuyler n’évalue pas au-delà de 150 millions de francs la valeur totale des marchandises de transit qui sont apportées par les caravanes, et qui peuvent être soumises au droit de douane ou de passage du quarantième, c’est-à-dire de 2 1/2 pour 100. Quant à l’agriculture, il ne la croit pas en état de se développer et de nourrir une population plus nombreuse; il n’estime pas à 10 pour 100 de la superficie totale l’étendue des terres cultivées ou susceptibles d’être mises en culture, le reste du sol étant ou envahi par les sables ou occupé par les montagnes.

On ne peut se défendre de taxer ces appréciations d’un peu de pessimisme : elles sont en contradiction avec le témoignage unanime des anciens sur la fertilité de cette région, et avec les relations des auteurs et des voyageurs du moyen âge. Nous ne parlons pas seulement des Arabes et des Latins, dont les brillantes peintures pourraient être mises sur le compte de l’imagination, mais surtout des Chinois, dont les descriptions ont une précision et une exactitude que M. Schuyler a souvent constatées. Le voyageur américain rapporte lui-même un dicton universellement répandu dans l’Asie centrale, qu’autrefois un chat aurait pu aller de Kashgar à Samarcande sans quitter un instant les murs des jardins. D’où seraient sorties ces armées formidables, ces avalanches d’hommes que les conquérans asiatiques ont précipitées tour à tour sur l’Inde, sur l’Asie-Mineure et même sur la Russie? D’où ces villes immenses, dont tant de récits attestent la splendeur et dont les vastes enceintes enferment tant de monumens à demi détruits et tant de monceaux de ruines, auraient-elles tiré leur subsistance, si l’étendue du sol cultivable avait été aussi restreinte? Il suffit de lire l’esquisse que M. Schuyler a tracée de l’histoire de ces régions, cette interminable série de guerres, de discordes intestines, de révoltes et de révolutions de palais, pour se convaincre que nulle part l’humanité n’a été outragée par une aussi effroyable consommation d’hommes. Tous les petits despotes de l’Asie centrale ont été des bourreaux, versant le sang à flots, par vengeance, par cupidité ou par caprice. Toutes leurs guerres ont eu la rapine pour objet, le pillage, l’incendie et la destruction pour conséquences. La domination