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d’un des apôtres de l’islamisme dans ces contrées. La cérémonie, dont la présence d’officiers anglais en uniforme releva singulièrement l’éclat, eut lieu, avec la plus grande pompe, à la célébration de la fête religieuse du Curban, le 28 janvier 1874. Le firman d’Abdul-Aziz fut lu publiquement : Yakoub-Khan se reconnut le vassal et le protégé du sultan, dont il ordonna que le nom figurât désormais dans la khutba, c’est-à-dire dans la prière pour le souverain régnant, qui se récite quotidiennement dans les mosquées. Il fit distribuer à tous les assistans et à ses troupes des tillas, monnaie d’or valant environ 11 shillings, qui portaient le nom d’Abdul-Aziz et la mention : royaume protégé de Kashgar. Le titre d’émir, conféré à Yakoub-Khan par la plus haute autorité politique et religieuse de l’islamisme, l’élevait au niveau des plus puissans souverains musulmans de l’Asie. La légitimité de son pouvoir, après cette consécration, était désormais au-dessus de toute contestation aux yeux des vrais croyans : la méconnaître devenait un crime religieux en même temps qu’un acte d’insubordination. Le prestige d’Yakoub-Khan s’en accrut d’autant plus que la présence de sir Douglas Forsyth et de son brillant cortège ne pouvait manquer d’être considérée comme le gage des sympathies de l’Angleterre. La mission anglaise, dont faisait partie un des aides-de-camp du vice-roi de l’Inde, le colonel Gordon, prolongea son séjour à Kashgar : le capitaine Biddulph alla explorer la passe qui conduit, à travers la chaîne du Tien-shan, dans la province de Khuldja. Le colonel Gordon, de son côté, poussa jusqu’à 30 milles du fort Narym, par la passe qui mène dans le Khokand. Il n’est pas à présumer que les officiers anglais aient résisté à la tentation de donner à Yakoub-Khan, ne fût-ce que par amour de l’art, quelques conseils pour la mise en état de défense des forts qui ferment les deux routes par lesquelles un corps d’armée russe peut pénétrer dans le Kashgar.

Ces conseils, s’ils ont été donnés, n’étaient point intempestifs, car les Russes n’eurent pas plus tôt connaissance de ce qui s’était passé à Kashgar qu’ils résolurent de renverser Yakoub-Khan, afin de ne point lui laisser le temps de consolider sa puissance et de devenir trop dangereux. Des approvisionnemens furent acheminés vers le fort Narym, qui devait être la base des opérations contre le Kashgar, et les préparatifs se poursuivaient avec activité lorsque l’insurrection du Khokand vint détourner le coup qui menaçait le nouvel émir. Après que l’insurrection eut été comprimée au milieu de flots de sang, les autorités russes recherchèrent avec grand soin quelle part le souverain de Kashgar pouvait y avoir eue, soit par des encouragemens, soit par des envois d’hommes ou d’argent. Elles ne parvinrent à découvrir aucun fait dont elles pussent se faire un grief et un prétexte pour attaquer Yakoub-Khan. La perte de celui-ci