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donnent lieu à un commerce très étendu. Yarkand est une ville de plus de 40,000 âmes, avec des rues régulières, des maisons bien bâties et à plusieurs étages, des bazars bien approvisionnés; la population y est industrieuse et active, et l’aisance y paraît être générale. Au dire du docteur Bellew et du colonel Gordon, Yarkand, avec ses habitans affairés, avec ses cafés toujours remplis, ses restaurans où des cuisiniers en robe blanche et tablier blanc servent aux consommateurs, sur de petites tables séparées, les mets les plus divers, avec les étalages de ses bouchers et de ses pâtissiers, ses marchands de gâteaux ambulans, promenant leurs marchandises sur un éventaire et appelant les chalands, avec ses rondes régulières d’agens de police, dissipant les attroupemens, faisant livrer passage aux voitures, vérifiant les poids et mesures des marchands en discussion avec leurs cliens, produit l’impression d’une ville européenne transportée au fond de l’Asie, et ne ressemble en rien aux indolentes cités de l’Inde et de la Perse. Moins peuplée qu’Yarkand, malgré l’étendue considérable de son enceinte fortifiée, Kashgar ne compte guère plus de 25,000 âmes, mais elle n’est pas moins prospère : elle est le centre d’un commerce considérable avec le Khokand et la Chine, et le rendez-vous de nombreuses caravanes. La ceinture de jardins bien cultivés qui l’entoure atteste une agriculture avancée et florissante.

Accueillie partout sur sa route avec les prévenances les plus empressées, la mission anglaise fut reçue à Kashgar par Yakoub-Khan avec les plus grands honneurs; mais l’atalik, tout en promettant de donner au commerce les facilités les plus étendues et d’assurer aux marchands anglo-indiens la protection la plus efficace, témoigna quelque hésitation au moment de se lier à l’Angleterre par un traité en règle. Il appréhendait de donner par là de nouveaux griefs au gouverneur-général du Turkestan, qui lui avait plusieurs fois fait proposer un traité de commerce, qui lui avait même dépêché un marchand, puis un officier russe, le capitaine Rheinthal, et dont il avait toujours éludé les ouvertures. L’atalik soupçonnait que des agens russes cherchaient à réveiller dans la population les sentimens d’attachement à la famille des Khodjas, en faisant ressortir que lui-même et les principaux dignitaires de sa cour élaient des Khokandiens, c’est-à-dire des étrangers. Il se défiait également de la fidélité des Chinois, convertis par force à la foi musulmane. Aussi avait-il mis garnison dans toutes les villes importantes; les gouverneurs de province étaient astreints à venir tous les six mois à Kashgar pour verser à son trésor le produit des impôts et pour rendre compte de leur gestion. En outre, il entretenait dans chaque ville, suivant la coutume persane, un mirza ou correspondant secret chargé de l’informer de tout ce qui se passait et de lui fournir