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les populations musulmanes établies dans les vallées inférieures de l’Himalaya, et en réduisant à l’état de vassalité le Cachemir, le Thibet et les divers états de la Birmanie.

La domination chinoise eut pour résultat d’introduire dans le Turkestan oriental une agriculture plus avancée, certaines industries, un degré de civilisation supérieur, et de développer les ressources naturelles du pays. Sous les successeurs de Khian-loung, princes amollis par le luxe et les plaisirs, l’administration chinoise se relâcha de sa sévérité et de sa vigilance : l’islamisme releva peu à peu la tête et reprit silencieusement, au pied de l’Himalaya, son travail de propagande aux dépens du bouddhisme, qui est aux yeux des musulmans une coupable idolâtrie. A partir de 1840, une sourde fermentation sembla s’emparer de toutes les populations mahométanes de l’Asie centrale. Un prince animé d’un sombre fanatisme, Nasrullah, venait de s’asseoir sur le trône de Boukhara, et, dans cette ville sanctifiée par les tombeaux de docteurs vénérés, il avait rétabli et assuré par des supplices l’observation des préceptes les plus rigoureux du Coran. Les pèlerins, qui viennent chaque année par milliers visiter les saints tombeaux, retournaient dans leur pays, exaltés par les prédications ardentes qu’ils avaient entendues, et réchauffaient à leur tour le zèle religieux de leurs compatriotes. L’attitude menaçante de la Russie vis-à-vis de la Porte en 1853 et l’explosion de la guerre de Crimée vinrent ajouter à cette fermentation des populations asiatiques. Ce n’était pas au souverain de Constantinople, c’était au commandeur des croyans, c’était à la foi musulmane que la guerre était déclarée : ces périls de la foi naissaient de l’oubli où étaient tombés les préceptes du Goran et de la coupable faiblesse avec laquelle les croyans acceptaient le joug des infidèles et des idolâtres. Avec le fanatisme religieux se réveillaient, par une connexité naturelle, le désir et le besoin de l’indépendance. L’affaiblissement de l’empire chinois, abaissé et humilié par les victoires des Européens, déchiré et ravagé par la révolte des Taïpings, semblait annoncer l’heure marquée par la Providence pour l’affranchissement des enfans du prophète.

L’explosion ne se fit pas attendre. Dans les premiers jours de 1856, les populations musulmanes établies au pied des montagnes du Thibet, à l’extrémité de la province d’Yunnan, la plus occidentale de la Chine méridionale, levèrent l’étendard de la révolte. Un plein succès couronna leurs efforts : la presque totalité de l’Yunnan et de la province voisine, le Sé-tchuen, fut arrachée à la domination chinoise. Les Panthaïs, c’est le nom que prenaient ces insurgés, devenus maîtres de l’importante position de Momien, y installèrent un de leurs chefs avec le titre de sultan. Il a fallu près de dix-sept années à la Chine pour replacer l’Yunnan sous son autorité.