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couronne, la chambre des députés supprima le commandement supérieur des gardes nationales du royaume que le vieux général avait exercé pendant cinq mois dans une situation exceptionnelle, mais qui, de son propre aveu, devait prendre fin, avec cette situation elle-même. Cette suppression fut prononcée k une imposante majorité avec l’appui du ministère, sans que la chambre voulût adopter l’amendement proposé par les amis du général et qui maintenait exceptionnellement et à son profit personnel les fonctions frappées par le vote. A la suite de ce vote, émis le 24 décembre, M. de Lafayette, sans attendre que la suppression fût devenue définitive par la ratification de la chambre des pairs, envoya sa démission au roi, avec le secret espoir, s’il faut en croire M. Guizot, de se mettre à même de dicter des conditions et d’obtenir pour ses amis politiques « ce qu’il leur avait fait ou laissé espérer. »

Le roi, résolu à n’être le prisonnier de personne, ne voulait pas se donner cependant l’apparence même d’un tort envers un homme protégé à ses yeux par les services qu’il en avait reçus plus encore que par sa popularité. Il essaya donc de le détourner de son dessein, et dans un long entretien d’abord, par l’intermédiaire de MM. Laffitte et de Montalivet ensuite, il lui demanda de conserver le commandement des gardes nationales de Paris et d’accepter à titre honoraire le commandement général de celles du royaume. M. de Lafayette commença par ne donner que des réponses évasives, puis, à une troisième démarche faite auprès de lui par M. de Montalivet, il déclara que conserver son commandement supérieur, même à titre honoraire, serait se mettre en opposition avec le vote de la chambre ; que conserver celui de Paris serait se faire le complice de l’inexécution du programme de l’Hôtel de Ville, et qu’en conséquence, il refusait le premier et ne garderait le second qu’autant que ses amis obtiendraient les satisfactions auxquelles ils avaient droit, c’est-à-dire une chambre des pairs choisie par le roi sur une liste de candidats élus par le peuple, une large extension du droit de suffrage et un ministère de gauche. Devant de telles conditions, le gouvernement ne pouvait qu’accepter la démission. C’est ce qu’il fit.

Le même soir, ou plutôt dans la nuit, M. de Montalivet convoqua les colonels de légion et, après leur avoir exposé les motifs pour lesquels M. de Lafayette déclinait les offres honorables du roi, leur présenta le général comte de Lobau dont il avait obtenu le concours, en lui parlant du péril auquel la brusque retraite du commandant général exposait la sécurité publique. L’illustre soldat prit possession de son commandement, simplement, sans phrases. On sait qu’il devait l’exercer avec une salutaire fermeté et dans une sorte d’obscurité volontaire, plus propre à maintenir et fortifier la discipline