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témoignages, il terminait la première partie de son travail en déclarant que la seule signature des ordonnances constituait à ses yeux le véritable crime de M. de Polignac et de ses collègues. Dans la seconde partie, il s’appliquait vainement à découvrir la cause des incendies de Normandie, dans lesquels il voyait le résultat d’un complot ; mais il était obligé de reconnaître qu’il n’existait aucune preuve de la complicité des ministres dans cet exécrable attentat. Dans la troisième partie enfin, il s’efforçait, en démontrant la compétence de la chambre des pairs, de répondre à des observations préjudicielles déjà faites par les accusés et qui devaient être reproduites dans leur défense.

Après avoir entendu la lecture de ce rapport, la cour des pairs rendit un arrêt par lequel elle traduisait devant elle les ministres accusés, absens ou présens, sans que l’instruction de la contumace pût retarder le jugement des détenus. Elle décida en outre qu’il ne serait admis dans les débats aucun intervenant ou partie civile, tous les droits étant d’ailleurs réservés. L’ouverture de ces débats fut fixée au 15 décembre. On touchait donc à la crise; on entrait dans ce que M. Guizot a heureusement appelé « le défilé du procès des ministres. » Les bonnes volontés étaient prêtes, les dévoûmens allaient s’élever à la hauteur des périls, et ce fut l’honneur et le mérite des hommes mêlés à ces dramatiques péripéties de n’avoir pas perdu un seul instant l’énergie, le courage et l’espérance.

Aux approches du procès, l’agitation augmentait dans Paris. Elle se traduisait par les manifestations bruyantes de la rue, les placards séditieux, par des scènes de violence aux théâtres, dans les écoles, aux portes des deux préfectures, où les ouvriers sans travail allaient demander de l’ouvrage et du pain. Si l’on ajoute à ces symptômes d’un état révolutionnaire menaçant, la détresse des affaires, la multiplicité des faillites, la crainte de la guerre, l’audace de la démagogie, un mécontentement général, l’on pourra se rendre compte de la physionomie de Paris au moment où les anciens ministres de Charles X allaient comparaître devant leurs juges.


II.

Le 10 décembre, à sept heures du matin, M. de Polignac et ses collègues, à l’exception de M. de Chantelauze, que son état maladif retint à Vincennes jusqu’au soir, furent transférés, sous la protecion d’une imposante escorte, du château dans lequel ils venaient de passer trois mois au palais du Petit-Luxembourg, où un appartement avait été transformé en prison pour les recevoir. M. de Montalivet présidait à ce transfèrement. Cinq jours après, le 15 décembre,