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naïveté puérile. Leur mépris de la forme rappellerait notre moyen âge, si l’on retrouvait au Japon le sentiment profond qui donne la vie à notre vieil art gothique. Inhabiles à employer la figure humaine à l’expression réfléchie des sentimens, ils se rejettent dans le domaine de la sensation et produisent ces choses jolies à l’œil, éclatantes, coquettes, parfois spirituelles et suffisantes à satisfaire un dilettantisme banal, mais dépourvues de toute haute portée esthétique, que l’on admire tant, que l’on admire trop aujourd’hui ! Qu’on y prenne garde en effet! Cet art minutieux mais trivial ne parle qu’aux yeux, ne réjouit que par la bizarrerie des sujets ou la nouveauté des procédés, il n’élève pas l’âme; il est, suivant une expression fort en vogue aujourd’hui, « amusant. » Soit : qu’on s’en amuse donc; mais gardons-nous de cet engouement excessif et quelque peu moutonnier pour des niaiseries exotiques et des industries dépassées depuis longtemps par les nôtres, défendons-nous de cette recherche exclusive qui veut se donner pour un goût élégant, gardons-nous surtout dans nos tableaux, dans nos compositions de toute sorte, de ces imitations et de ces emprunts dont l’afféterie égale la maladresse.

Non, ce n’est pas à l’extrême Orient de nous fournir des modèles. Ce n’est pas à cette source épuisée que notre imagination se renouvellera. L’art japonais comme l’art chinois est un art dépourvu de souffle, d’aspirations élevées, d’élans vers l’au-delà. L’idéal ne s’est jamais pour lui dégagé de la chimère; il prend pour imaginaire ce qui est pour nous la vérité par essence, le beau absolu. Réaliste et prosaïque ou bien fantastique et monstrueux, il ne procède d’aucune conception supérieure et n’en saurait provoquer. Il atteint quelquefois le caractère, rarement le style, jamais le beau. La différence entre le monde bouddhiste et le nôtre, entre les races touraniennes et les fils des Aryas, c’est que nous cherchons encore, nous chercherons à perpétuité, le type éternel de la beauté, — l’idéal; tandis qu’ils ne cherchent plus, ne comprennent même pas nos inassouvissemens, nos révoltes, nos angoisses, et déclarent le cercle des idées définitivement clos. Si loin que puissent aller les progrès de l’extrême Orient dans la sphère matérielle, on ne voit pas jusqu’à présent qu’ils aient porté remède à cette incurable cécité morale. Un avenir lointain apprendra à nos descendans si un long contact et un effort continu peuvent adoucir les lois inexorables de l’ethnologie, ou si au contraire une race porte à jamais l’empreinte du moule primitif où elle a été fondue.


GEORGE BOUSQUET.