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presque métalliques ; on ne l’emploie guère qu’à de petites boîtes qui valent jusqu’à 80, 100 ou 200 piastres. Le nashiji ou peau de poire, l’aventurine, s’emploient pour des objets plus gros; mais c’est la laque noire qui est la plus usitée. Quand elle atteint une extrême finesse, elle a le poli d’un miroir, et sur cette surface unie l’artiste japonais excelle à représenter en laque d’or, parfois fort épaisse, des arabesques, des feuilles de bambou, des sujets de la mythologie ou de la légende, des paysages au milieu desquels se répète le mon (armoiries) du prince auquel est destiné l’objet. La fantaisie se donne en ce genre une carrière sans limite, et les motifs de décoration, n’étant presque jamais tirés que du règne végétal, ont en général autant d’élégance que de hardiesse. Enfin le bois et le carton laqué entrent encore dans une foule d’ustensiles, forment la vaisselle, la coiffure, l’armure et jusqu’à la chaussure. Mais le vieux laque seul mérite l’engouement dont tous les bibelots japonais sont aujourd’hui l’objet en Europe. On ne sait plus à présent consacrer des mois et des années à la confection d’un cabinet; il faut produire vite et à bon marché pour l’exportation, et l’on finit par oublier les procédés patiens des anciens laqueurs pour suffire aux commandes de nos marchands de nouveautés. Cette décadence s’accentue chaque jour, et entre les produits envoyés à Vienne et ceux envoyés à Philadelphie, on pouvait constater la dégénérescence du goût qui distinguait jadis l’ouvrier japonais.

En somme, c’est dans les musées et les collections d’Europe qu’il faut aujourd’hui chercher les plus beaux spécimens de cet art agonisant. Presque tout l’ancien stock a disparu du Japon, drainé par quelques commissionnaires et quelques amateurs; c’est à grand’-peine que l’on découvre encore une vraie curiosité. Et pour cela, que d’heures il faut passer dans la même échoppe à causer avec le brocanteur, tout en buvant ce thé fade qu’il vous offre, soulevant par-ci par-là une boîte, palpant un bronze ou une porcelaine, feignant d’examiner avec attention quelque médiocrité, tandis qu’on lorgne du coin de l’œil la maîtresse pièce qu’il s’agit d’emporter à un prix modéré.


VII.

Quelque opinion que l’on se forme du tempérament esthétique des Japonais, il est incontestable qu’il a d’ores et déjà atteint son complet développement. Leur génie a rencontré dès à présent sa plus haute expression. Loin d’être comparables aux tâtonnemens d’un peuple naïf qui s’ignore et se cherche, leurs productions portent les signes visibles d’une civilisation mûre et parachevée dont