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de sacerdoce, ils ne sauraient voir sans dégoût l’homme s’abaisser par des gestes exubérans, par des postures forcées et des contorsions au-dessous de sa dignité naturelle. A défaut de l’intuition du beau, ils ont un goût instinctif très sûr et très aiguisé de tout ce qui est décent, convenable, eurythmique. C’est ce goût merveilleux que nous allons voir à l’œuvre dans des branches secondaires des beaux-arts, où, selon nous, ils excellent autant qu’ils se montrent inférieurs dans les plus importantes.


VI.

Il y a trois choses, dit Théophile Gautier, dans la confection desquelles aucune nation civilisée ne peut rivaliser de goût avec une race barbare; savoir : un harnais, une cruche et une natte. A son tour, un auteur anglais déclare, sous une forme non moins humoristique, que la perfection dans les arts décoratifs n’a rien d’incompatible avec le cannibalisme et la polyandrie. Il serait peut-être plus juste de dire que la grâce dans les petites choses peut se rencontrer à côté de l’insuffisance dans les grandes, et que sans être barbare un peuple peut être à la fois privé du sentiment intuitif du beau, et doué cependant du goût le plus pur en matière d’ornement, de même qu’un homme dépourvu de génie peut avoir beaucoup de bon sens. Tel est le cas pour les Japonais. Livrés à eux-mêmes et placés à l’abri des conseils et des exemples européens qu’ils n’ont que trop de tendance à suivre sans discernement, ils mettent dans tout l’appareil extérieur de la vie cette bienséance qu’on trouve dans leurs manières quand elles sont restées purement nationales, la mesure qu’une civilisation raffinée exige de tout ce qu’elle emploie. Avant que ces heureuses qualités eussent été sophistiquées par notre contact, ils savaient partout se montrer inimitables dans le choix des meubles, dans l’association des couleurs, dans l’arrangement des décorations. Pénétrez dans l’intérieur d’un Japonais resté fidèle aux anciennes modes, vous ne trouverez dans ces appartemens simples, modestes même, mais d’une élégance discrète, aucune des discordances optiques, aucun de ces scandales des yeux qui déparent presque toujours nos salons bourgeois. Livrez des fleurs à un jardinier, à une jeune fille, ils sauront d’instinct les disposer en un bouquet sans symétrie, qui aura le piquant d’un impromptu. C’est par ce côté que le Japonais l’emporte sur le Chinois. Tandis que celui-ci demeure dans ses arts industriels minutieux, ponctuel, stérilement méthodique, bref un barbare consciencieux, son voisin se livre aux hasards de la fantaisie avec l’abandon d’un artiste. Le Chinois fantaisiste est un ours